Société
Par Marine Ernoult / IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
La petite chauve-souris brune hiberne pendant près de 200 jours dans des grottes de la province. (Photo : Jordi Segers)

Un champignon décime les chauves-souris qui hibernent à l’Île-du-Prince-Édouard. Les espèces qui migrent en hiver affrontent, elles, un autre danger mortel : les éoliennes. Le coût de la disparition de ce grand prédateur d’insectes se chiffre en milliards de dollars pour l’agriculture.

Les populations de petite chauve-souris brune et de chauve-souris nordique qui hibernent dans les grottes de l’Île-du-Prince-Édouard s’effondrent. Le gouvernement fédéral considère ces deux espèces en voie de disparition.

Depuis 2013, «leur nombre a chuté de 90 à 95 %», affirme Darrian Washinger, technicienne pour le projet de conservation des chauves-souris de l’Atlantique du Réseau canadien pour la santé de la faune (basé au Collège vétérinaire de l’Atlantique).

Le syndrome du museau blanc décime les petits mammifères volants de la province. Cette maladie fongique a été observée pour la première fois en Amérique du Nord en février 2006, dans une caverne de l’État de New York. 

Depuis cet hiver-là, la maladie s’est rapidement propagée à travers le nord-est des États-Unis et du Canada. 

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Louis Lazure est biologiste au zoo québécois de Granby et spécialiste des chauves-souris. (Photo : Gracieuseté)

Démangeaisons mortelles

Elle est actuellement présente dans 25 États américains et dans cinq provinces canadiennes, soit le Québec, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard, où elle a tué plus de six millions de chauves-souris à ce jour. 

Le syndrome du museau blanc affecte principalement les espèces qui hibernent. Il est causé par un champignon microscopique provenant d’Europe qui se développe dans des milieux froids et humides comme les cavernes et les mines abandonnées, où les chauves-souris trouvent refuge pour leur hibernation.

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Darrian Washinger est technicienne pour le projet de conservation des chauves-souris de l’Atlantique au sein du Réseau canadien pour la santé de la faune.  (Photo : Gracieuseté)

Les spores blanches du champignon attaquent les parties dépourvues de poil de l’animal, comme le museau, les pattes et les ailes, où elles provoquent des démangeaisons qui réveillent les chauves-souris. 

Chaque fois qu’elles sortent de leur torpeur, «elles dépensent une grande quantité d’énergie pour réactiver leur métabolisme et hausser leur température corporelle, qui doit passer de 3 à 32 degrés Celsius», explique Louis Lazure, biologiste au zoo québécois de Granby. 

«Si elles sont réveillées trop souvent durant leur hibernation, elles risquent d’épuiser leurs réserves de graisse avant l’arrivée du printemps et de mourir», ajoute le scientifique.

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La petite chauve-souris brune est en voie de disparition à l’Île-du-Prince-Édouard à cause d’un champignon. (Photo : Jordi Segers)

Faible taux de reproduction

Selon Darrian Washinger, le seul moyen d’endiguer la propagation de la maladie est «d’éviter de visiter les lieux fréquentés par les chauves-souris comme les grottes, les caves ou les bâtiments abandonnés.»

D’après une étude parue dans la revue Science en 2011, le rétablissement des populations est peu probable. Ces mammifères nocturnes sont en effet caractérisés par un faible taux de reproduction. 

«Les femelles ne donnent naissance qu’à un seul petit par an et le taux de survie des jeunes au cours de leur première année est de seulement 40 %», confirme Darrian Washinger. 

Les parcs d’éoliennes sont aussi responsables de la mort de nombreuses chauves-souris cendrées et rousses qui migrent, elles, jusqu’au sud des États-Unis.

On estime que 600 000 à 900 000 individus sont fauchés chaque année aux États-Unis par les éoliennes. 

«Certaines sont frappées par les pales, tandis que d’autres succomberaient à une hémorragie interne provoquée par la différence de pression existant à proximité des éoliennes», relève Louis Lazure. 

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La chauve-souris nordique est également en voie de disparition, entre 90 et 95% de sa population a disparu. (Photo : Jordi Segers)

Insecticide naturel

Les chauves-souris perdent également des habitats qui leur étaient propices. «Le recul des forêts est problématique, car les arbres sont de bons gîtes de repos et de mise bas pour elles», observe Darrian Washinger.

Acculées, elles trouvent parfois refuge dans des greniers. Darrian Washinger assure qu’il est tout à fait possible de coexister avec elles. 

Si les propriétaires veulent néanmoins les chasser, «il vaut mieux qu’ils interviennent au printemps ou à l’automne, car l’été les petits sont encore auprès de leur mère, les expulser peut entraîner des mortalités massives», insiste-t-elle. 

Les menaces qui pèsent sur ces petits mammifères volants sont d’autant plus inquiétantes qu’ils apportent de nombreux bénéfices environnementaux. 

En consommant des quantités phénoménales d’insectes, ils contribuent à diminuer les dommages causés par certaines espèces nuisibles à l’agriculture et à la foresterie.

Les États-Unis ont évalué à plusieurs milliards de dollars par an les pertes économiques associées au syndrome du museau blanc, «car les agriculteurs sont désormais obligés d’épandre davantage d’insecticides, ce qui augmente leurs coûts de production», explique Louis Lazure.  

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Les dortoirs peuvent aider les chauves-souris qui voient leur habitat se détériorer (Photo : Jordi Segers)

Des maisons pour chauves-souris

Pour aider les chauves-souris, les insulaires peuvent leur installer des dortoirs dans leur jardin. Ces boîtes «offriront aux femelles un endroit agréable et sûr pour donner naissance à leur petit pendant l’été», explique Darrian Washinger. 

Il existe même un code de construction de 178 pages rédigé par plusieurs groupes de protection de la faune et de la flore d’Amérique du nord. Darrian Washinger rédige actuellement une page de résumé, dotée d’infographies. 

La technicienne explique que l’idéal est d’avoir un dortoir de couleur foncée avec plusieurs chambres permettant aux mammifères de se déplacer. Elle invite également les insulaires à l’installer à une hauteur d’au moins 3 mètres sur le côté sud d’un bâtiment, maison ou abri de jardin. 

«Les chauves-souris seront ainsi bien au chaud. Elles recevront un ensoleillement soutenu toute la journée et seront davantage à l’abri des prédateurs», détaille-t-elle. 

Darrian Washinger invite néanmoins à la plus grande prudence par rapport au risque de rage dont certains individus sont porteurs. 

«Il ne faut surtout pas les toucher avec les mains. Si vous en avez dans votre maison, le premier réflexe est d’appeler la ligne d’assistance dédiée*.»

Des spécialistes qualifiés pourront alors évaluer la situation et remettre les chauves-souris à l’extérieur sans danger. 

* 1-833-434-228  

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