Société
Par Marine Ernoult / IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
«Un revenu minimum est la voie la plus claire vers l’élimination de la pauvreté», souligne Trish Altass. (Photo : Gracieuseté)

Plusieurs groupes militent depuis des années pour instaurer le revenu de base universel à l’Île-du-Prince-Édouard. Ils réclament le lancement d’un projet pilote de cinq à sept ans. Les insulaires de 18 à 64 ans recevraient un montant fixé à 85 % du seuil de pauvreté. Une conférence nationale sera organisée sur le sujet à Charlottetown en juin. 

«Plutôt que de punir les gens parce qu’ils vivent dans la pauvreté, nous devons leur fournir un plancher en dessous duquel ils ne peuvent pas tomber», affirme la coordinatrice de la recherche au sein du Conseil consultatif sur la situation de la femme de l’Île-du-Prince-Édouard, Trish Altass. 

L’ancienne représentante du Parti vert a participé en 2023 à la rédaction d’un rapport proposant la mise sur pied d’un revenu minimum garanti pour les résidents de la province âgés de 18 à 64 ans. 

Il s’agirait d’un projet pilote de cinq à sept ans qui viserait à évaluer l’efficacité du programme et à procéder, le cas échant, à des ajustements. 

Les Insulaires recevraient un montant fixé à 85 % du seuil de pauvreté. Sur la base des chiffres de 2022, ce serait 19 252 dollars pour un adulte seul ou27 227 dollars pour une famille de deux adultes. Pour chaque dollar d’augmentation du revenu net des ménages, les autres allocations sociales seraient réduites de 50 cents. 

«Notre petite taille est un atout»

Selon les conclusions de l’étude, l’instauration d’un tel revenu de base pourrait faire baisser le taux de pauvreté insulaire jusqu’à 10% et supprimer définitivement la profonde pauvreté.

«Ça permettra à tout le monde de vivre dans la santé et la dignité, nous pourrons faire des pas de géant pour relever les nombreux défis sociaux auxquels nous sommes confrontés», insiste Trish Altass. 

«Le revenu de base aidera à résoudre la crise du logement, permettra de soutenir plus facilement les insulaires dans les moments de crise comme Fiona», abonde dans le même sens la directrice générale du Réseau des femmes de l’Île-du-Prince-Édouard, Jillian Kilfoil.

Pour les deux militantes, de par sa taille et sa diversité démographique, la province est parfaitement adaptée à la mise en place du revenu minimum. 

«Notre petite taille est un atout pour le tester, pour savoir à quelles adaptations il faut procéder. Car les interactions avec les programmes fédéraux et provinciaux existants sont parfois complexes», observe Jillian Kilfoil. 

«Et nous sommes la seule province où tous les partis politiques se sont prononcés à plusieurs reprises en faveur d’un revenu minimum», ajoute Trish Altass. 

Une aide pour «changer de carrière, commencer une entreprise»

La province n’étant pas capable de financer intégralement le projet, elle a sollicité la participation du gouvernement fédéral. Le coût total du programme est en effet estimé à 189 millions de dollars la première année. Les auteurs du rapport proposent que la province paie 35 % de ce montant en augmentant notamment le taux d’imposition des plus riches. 

«Il y a beaucoup d’inégalités financières, beaucoup de richesses sont concentrées dans les mains de quelques familles, on doit mettre des taxes plus élevées sur les ménages les plus riches», considère Jillian Kilfoil.

«C’est un investissement qui coûte cher, mais ça va permettre de réduire les coûts dans d’autres parties du budget provincial comme la santé», poursuit-elle. 

Le rapport anticipe ainsi une économie de plus de 17 millions de dollars à mesure que les dépenses pour les services sociaux diminueront.

Certaines critiques redoutent cependant une réduction de la participation au marché du travail si le revenu minimum était lancé. 

«Dans les places où il a déjà existé, les gens restent motivés à travailler. Ils veulent avoir plus que leurs besoins vitaux couverts», assure Trish Altass.

Jillian Kilfoil estime, elle aussi, que le revenu de base «stimule le secteur économique» : «Ça permet aux gens de changer de carrière, de retourner aux études, ça les aide à commencer leur entreprise.»

«Le revenu de base aidera à résoudre la crise du logement, permettra de soutenir plus facilement les insulaires dans les moments de crise comme Dorian ou Fiona», observe Jillian Kilfoil. (Photo : Gracieuseté)

Un revenu complémentaire aux prestations sociales

Lors d’une expérience menée dans les années 1970 au Manitoba, les chercheurs ont constaté que quelques groupes seulement avaient légèrement réduit leurs heures de travail. 

Il s’agissait à l’époque de jeunes hommes qui choisissaient de rester à l’école un peu plus longtemps afin d’améliorer leurs chances de décrocher un emploi. Un plus grand nombre de jeunes femmes préféraient également rester plus longtemps à la maison avec leurs enfants après avoir accouché.

«Faciliter la poursuite des études est très important, car nous vivons dans une économie créative fondée sur la connaissance où nous avons besoin d’une main-d’œuvre ultra-qualifiée», souligne Trish Altass.

Elle insiste par ailleurs sur la «complémentarité» du revenu minimum avec les autres programmes sociaux existants. 

«Nous ne sommes absolument pas favorables à la suppression de toutes les prestations sociales. Même à un niveau réduit, l’assistance sociale provinciale doit rester en place», renchérit Jillian Kilfoil. 

Le PEI Working Group for a Livable Income et la Coalition Canada - Revenu de base, dont font partie Trish Altas et Jillian Kilfoil, font pression depuis des décennies pour que les politiques provinciaux et fédéraux fassent du revenu minimum une priorité. 

À la mi-février, ces organismes ont notamment envoyé une lettre ouverte à tous les candidats à la direction du Parti libéral afin d’obtenir les ressources nécessaires pour démarrer le projet pilote. 

En juin prochain, le Réseau des femmes de l’Île-du-Prince-Édouard organisera également une conférence nationale sur le sujet à Charlottetown. 

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