En moins d’un mois, le gouvernement fédéral a acheté plus de 270 000 dollars de publicité sur les plateformes de Meta, une première depuis le début du boycottage qui durait depuis plus d’un an. Les plus petits médias y trouvent de nombreuses contradictions, ainsi qu’un manque de considération à leur égard.
«C’est un pied de nez aux médias canadiens», déplore la représentante autorisée du Consortium des médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire, Linda Lauzon.
En rappelant le contexte économique difficile auquel font face les médias locaux, en particulier ceux de langue officielle en situation minoritaire, elle estime que de recommencer l’achat de publicité auprès de Meta est un faux pas d’Ottawa.
«On est très déçus que le gouvernement ne soit pas plus sensible à la réalité de ces petits médias-là. Avec 100 000 $, un petit média de langue officielle fait des miracles. […] C’est décevant que le gouvernement ne soit pas plus solidaire de tous ces médias en ce moment qui ont souffert massivement du retrait de Facebook.»
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Fin du boycottage
Ottawa a recommencé à acheter des espaces publicitaires sur Facebook et Instagram – les plateformes de Meta – le 23 janvier 2025, afin d’y faire la promotion de la suspension de la taxe sur les produits et services (TPS) mise en place le 14 décembre, confirme par courriel un porte-parole du Bureau du Conseil privé (BCP), Daniel Savoie. Cette campagne publicitaire aurait couté 100 000 $.
D’autres campagnes de commercialisation lancées par le fédéral sont en cours sur les plateformes de Meta, écrit Daniel Savoie, dont une sur le logement qui devrait couter jusqu’à 175 750 $ et une d’environ 3500 $ géociblée sur la ville de Québec pour le recrutement d’étudiants.
«Les ministères choisissent des plateformes de médias sociaux qui atteignent efficacement les Canadiens et les parties prenantes, en évaluant continuellement leurs résultats et en rajustant leurs stratégies selon les besoins, ajoute-t-il. Si les plateformes Meta concordent avec les paramètres de la campagne, les ministères peuvent décider d’y placer de la publicité.»
Il y a un an et demi, en juillet 2023, le gouvernement a cessé d’acheter des espaces publicitaires à la société après que celle-ci a bloqué les nouvelles canadiennes sur ses plateformes, en réaction à l’application de la Loi sur les nouvelles en ligne, qui lui demandait une contribution financière pour le partage des contenus d’entreprises médiatiques.
«Une grosse contradiction»
Selon la présidente de Réseau.Presse (qui fait partie du Consortium et est l’éditeur de Francopresse), Maryne Dumaine, Ottawa «contredit sa propre position» en achetant de la publicité à une société qui refuse de se soumettre à sa propre loi.
«Pour moi, c’est vraiment une grosse contradiction», dit-elle. Pire encore, ce virage à 180 degrés effectué par Ottawa à l’endroit de Meta «légitimise» la position actuelle du géant du numérique devant la Loi sur les nouvelles en ligne.
«Surtout, ça encourage un média social qui, pour moi, laisse passer la désinformation», ajoute la présidente.
«Faire de la publicité sur une plateforme de médias sociaux ne signifie pas que l’on approuve les actions ou les décisions de la plateforme, nuance Daniel Savoie du BCP. Notre démarche consiste à établir un équilibre prudent : lutter contre la désinformation tout en veillant à ce que les Canadiens reçoivent des informations exactes et essentielles directement du gouvernement.»
Maryne Dumaine estime que les médias locaux proposent déjà de fournir aux Canadiens de l’information exacte, essentielle et directe du gouvernement, en plus d’avoir la «confiance de nos citoyens et citoyennes de façon locale».
«C’est aussi une contradiction parce qu’en ce moment, le gouvernement nous encourage à consommer local, mais il met ses publicités dans un géant du Web [basé aux États-Unis, NDLR] au lieu de choisir de rejoindre les Canadiens et les Canadiennes par leurs médias locaux», dénonce Maryne Dumaine.
Celle-ci fait référence à la réponse canadienne aux menaces économiques du président américain Donald Trump, où Ottawa encourage les Canadiens à consommer local.
Selon la présidente, le choix du gouvernement «fragilise nos médias locaux, surtout les médias locaux francophones en situation minoritaire qui sont déjà très fragilisés et qui auraient dû être priorisés dans ces investissements en publicité».
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«Si on veut toucher les francophones, utiliser les médias francophones est la meilleure façon», estime Maryne Dumaine. (Photo : Christian Kuntz)
Acheter chez les médias canadiens
Le Consortium demande au gouvernement fédéral de revoir la distribution des enveloppes pour la publicité. Selon Linda Lauzon, placer de la publicité dans les journaux locaux permet de contribuer à l’information locale, de rejoindre le public directement et d’éviter la publicité «stérile».
«Souvent, ces médias-là vont prendre la nouvelle, par exemple la publicité pour un nouveau programme, et ils vont faire une couverture journalistique pour mieux informer les gens sur ce qui est disponible pour ce programme-là aux gens de la région, de la localité donnée», donne-t-elle comme exemple.
Dans le cas des médias de langue officielle en situation minoritaire, c’est une façon pour le fédéral de respecter ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles (LLO) modernisée, ajoute Linda Lauzon.
La Partie VII de cette Loi oblige les institutions fédérales à mettre en œuvre des «mesures positives», comme «appuyer la création et la diffusion d’information en français qui contribue à l’avancement des savoirs scientifiques dans toute discipline».