Société
Par Marine Ernoult / IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
Rachelle Ann Gauthier, Acadienne née dans une famille anglophone de Summerside, est professeure en éducation à l’Université de l’Î.-P.-É. (Photo : Marine Ernoult)

Qu’est-ce qu’être Acadien à l’Île-du-Prince-Édouard? 

La Voix acadienne a posé la question à des Acadiens de tout âge, originaires de l’Île ou venus d’autres provinces, qui parlent le français ou l’ont perdu, mais aussi à de nouveaux arrivants francophones. Cette semaine, Rachelle Ann Gauthier, Acadienne née dans une famille anglophone de Summerside, professeure en éducation à l’Université de l’Î.-P.-É., partage la vision de son identité.

«Être Acadienne, c’est une création de tous les jours, car j’ai dû me réapproprier la langue et la culture après avoir été assimilée, ça ne faisait pas partie de mon héritage», partage Rachelle Ann Gauthier, Acadienne, née dans une famille anglophone de Summerside. 

«Dans ma jeunesse, on ne parlait pas du fait qu’on était Acadien, c’était caché», poursuit la dame dans la quarantaine. Pourtant, quand Rachelle songe à son enfance, son identité acadienne lui apparaît en pointillés à travers les visites chez ses grands-parents à Rustico, la tradition des grandes réunions de famille, les fêtes religieuses et les mets.

La Prince-Édouardienne bénéficie des premiers programmes d’immersion à la fin des années 1970. Durant douze ans, elle excelle à apprendre la langue de l’autre, celle du groupe minoritaire. En dehors des salles de classe, elle vit uniquement en anglais, en famille, avec ses amis. Être Acadienne ne signifie rien, elle entend à peine le mot а la maison. 

«Quand on perd son identité culturelle, ça fait mal d’en parler»

Rachelle continue cependant à forger sa complicité avec le français, et poursuit ses études en éducation à l’Université de Moncton. De retour а l’Île, elle devient enseignante d’anglais langue seconde dans les écoles de la Commission scolaire de langue française. En 2003, elle prend le poste de directrice de l’École Saint-Augustin à Rustico. En parallèle, elle reprend le chemin des études à l’Université de l’Î.-P.-É. Sa maîtrise porte sur les jeunes qui vivent en français à Charlottetown dans un climat anglophone dominant. 

À 30 ans, son travail universitaire sonne comme un déclic, elle réalise enfin qu’elle est Acadienne, que le français est aussi sa langue. «Ça a été une révélation bouleversante, une lumière s’est allumée en moi, ça m’a permis de mieux me connaître, confie Rachelle. C’était devant mes yeux toute ma vie, couvert par le silence. Quand on perd son identité culturelle, ça fait mal d’en parler, et la honte se transmet sur plusieurs générations». 

Aujourd’hui, Rachelle a plus que jamais conscience de son héritage, mais aussi de son assimilation. «J’ai compris ce que cela signifiait d’être opprimé. On dit souvent que les Acadiens ont perdu leur langue et leur culture, mais c’est faux, elles nous ont été enlevées, analyse la chercheuse. On n’a pas choisi de changer de nom et de groupe social, on s’est identifié à la majorité, car on voulait sortir de la misère et s’intégrer au groupe anglodominant».

L’éducation, la clé de la réconciliation 

Désireuse d’éclairer son histoire personnelle, l’universitaire a poursuivi ses recherches à l’Université de Moncton avec une thèse sur les jeunes ayant des racines francophones qui vivent dans des familles de langue anglaise. Elle s’est intéressée à la zone de contact entre les deux cultures. 

«Les gens comme moi, qui se situent dans un interstice culturel aux frontières floues, poussent les idées reçues, réinventent la façon d’être Acadien et permettent de déconstruire la vision binaire des deux solitudes linguistiques», affirme la professeure en éducation. 

Rachelle refuse de tracer une ligne de démarcation entre francophones et anglophones, et plaide pour une communauté. Elle estime que l’école est la clé de la réconciliation : «L’éducation a été utilisée comme un outil de destruction pour nous enlever notre langue, on peut maintenant l’utiliser pour marcher main dans la main avec les as».

Elle est mariée à un anglophone, et a choisi de mettre sa fille а l’École François-Buote : «C’est important qu’elle connaisse la richesse de ses racines acadiennes, qu’elle forge un lien fort avec le français». 

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