Même si les pensionnats autochtones sont aujourd’hui fermés, la politique qui a permis leur création continue de subsister, notamment avec la Loi sur les Indiens, datant de 1876, et toujours en vigueur aujourd’hui. C’est cette loi qui a notamment converti les gouvernements autochtones en conseils de bande sans réels pouvoirs et conférant aux Autochtones le statut «d’enfants de l’État», avec donc des droits limités. Des droits que les Premières Nations tentent de regagner.
«Nous avions tout ce dont nous pouvions avoir besoin. Nous avions nos médecins, nos ingénieurs, nos gouvernements, notre société était florissante. Et on nous a tout enlevé, notre langue, notre culture, nos droits», résume la cheffe Darlene Bernard de la Première Nation de Lennox Island, lors d’un entretien tenu le 27 mai.
Pendant longtemps, Lennox Island a été la seule Première Nation à l’Île. Puis, dans les années 1970, la Première Nation Abegweit a été créée. Puis, il y a environ 20 ans, les deux conseils de bande se sont réunis à nouveau pour former la Confédération Mi’kmaq (Mi’kmaq Confederacy), une sorte de gouvernement. «Nous avons commencé avec trois employés et maintenant, nous sommes environ 50. Nous continuons à construire nos nouvelles fondations. Ça prend du temps, mais nous y arrivons. Nous nous sommes dotés de services pour notre peuple, et de programmes, et plus récemment, nous avons mis sur pied notre mécanisme de mise en œuvre des droits conférés par le seul traité que nous avons signé avec la nation britannique et qui a servi à nous réduire à presque rien», raconte la cheffe.
Ce mécanisme de mise en œuvre des droits ancestraux s’appelle L’nuey. «Les droits de pêche sont ceux qui sont en vedette ces temps-ci, dans les provinces voisines. Ici à l’Île, nous pratiquons la pêche commerciale en même temps que tous les autres. Donc, ça ne cause pas de conflits. En même temps, nous avons 28 bateaux… et nos pêcheurs qui pourraient faire une pêche de subsistance. Nous sommes en train d’éduquer et consulter notre communauté à propos
de la ressource et de la faisabilité de cette pêche. Ça va prendre encore du temps», estime la cheffe.
Nouveau pignon sur rue
Un tout nouvel édifice s’est élevé sur le front de mer de Charlottetown. Il s’agit du siège social de l’assemblée des conseils Epekwitk. Pour le moment, seuls les deuxième et troisième étages sont occupés par la Confédération Mi’kmaq et L’nuey. Le premier étage sera quant à lui éventuellement occupé par un incubateur d’entreprises, pour réaliser une prochaine phase de prise en main : la création d’une corporation de développement qui servira à promouvoir l’entrepreneuriat autochtone et des opportunités de générer des fonds pour offrir plus de programmes et de services aux Premières Nations de l’Île. «Nous essayons de nous organiser et nous faisons des progrès», constate la cheffe Bernard.
Une langue qui cache une histoire
Récemment, plusieurs municipalités ont été enrichies d’un panneau d’identification en langue Mi’Kmaq. Curieusement, la Première Nation de Lennox Island a conservé son nom anglais. «Notre langue se base sur des descriptions. Nous ne nommons pas les choses, nous les décrivons. En nous réappropriant notre langue, nous apprenons en même temps ce que nos ancêtres voyaient, comment ils vivaient, ce qu’ils faisaient. Notre langue cache notre histoire. Par exemple, en Mi’kmaq, le mot abus n’existe pas», précise Darlene Bernard, qui regrette de ne pas parler la langue de ses ancêtres.
Au fil des récentes années, les Mi’kmaqs ont entrepris des recherches pour trouver les noms Mi’kmaqs des localités et pour identifier les endroits où les autochtones vivaient. Ce n’était pas dans le but ultime de modifier les affichages à l’entrée des municipalités, mais bien pour ajouter à un dossier pour une éventuelle revendication du territoire duquel les Premières Nations ont été privées. Et c’est pourquoi, de plus en plus souvent, des événements s’ouvrent sur une reconnaissance du fait qu’on se trouve sur un territoire non cédé.
«À Lennox Island, nous avons consulté notre communauté sur le nom que nous pourrions adopter. Nous ne voulions pas juste un nom pour changer de nom. Nous voulions que ce nom fasse partie de notre tradition de description. Nous avions quelques choix et pour le moment, nos citoyens ont opté pour conserver le nom de Lennox», raconte la cheffe.
La communauté est en pleine croissance
Les signes de cette réappropriation sont partout à Lennox Island. Des lots sont présentement en phase d’aménagement pour accueillir des maisons. Certaines seront destinées à la location, certaines seront louées avec option d’achat et il y a également un processus d’accès à la propriété à Lennox Island. «Nous éduquons notre communauté aux moyens d’accéder à la propriété. Nous avons un centre de la petite enfance tout neuf. Et dans l’ancien centre, nous avons aménagé un magasin pour des articles de seconde main. Ça fait circuler les objets, ça leur donne une seconde vie et ça aide notre communauté aussi. Nous avons présenté une demande et obtenu une subvention pour ouvrir une cuisinette qui servira une soupe chaude chaque jour. Et non loin, nous sommes à créer un jardin potager pour la communauté et aussi pour la soupe populaire. Nous avons une nouvelle caserne des pompiers en construction. Et bientôt, un nouveau port de pêche sera construit. Notre communauté est en pleine croissance. Une de nos plus grandes préoccupations, à l’heure actuelle, et pour les années à venir, concerne les changements climatiques et la hausse des niveaux d’eau. Ça serait une terrible épreuve et nous subirions un recul considérable si jamais nous étions obligés de nous établir ailleurs».
La cheffe Darlene Bernard est déjà en pourparlers avec les gouvernements pour trouver des solutions à long terme
et protéger les infrastructures.