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26 avril 2021 Par Jacinthe Laforest
Denise Arsenault et sa fille Angèle.

Lorsque l’incendie au Chez-Nous a forcé l’évacuation de tous les résidents, la plupart d’entre eux ont trouvé refuge à l’hôtel Mill River dans l’ouest de l’Île.  Puis, certains résidents ont pu s’en retourner vivre chez des membres de leur famille.  C’est ainsi que Denise Arsenault, qui aura 100 ans le 7 mai prochain, s’est retrouvée chez sa fille Angèle et son mari Yvon Arsenault à Wellington.  Maintenant, grâce à Facebook, tout le monde peut apprécier et commenter les petites histoires savoureuses que raconte Denise à sa fille. 

 

«Facebook, j’avais jamais entendu parler de ça avant asteure.  On n’avait pas ça dans mon temps.  On sevisitait et on s’écrivait des letres.  C’était rien d’avoir 10 ou 12 personnes le soir chez mes parents, pour jouer aux cartes», raconte Denise.  Il faut dire qu’avec ses 16 frères et sœurs, les joueurs de cartes ne manquaient pas. C’est d’ailleurs grâce à ces soirées de cartes qu’elle a commencé à fréquenter Léo Arsenault qui vivait à deux maisons de chez elle.  Le mariage a donné naissance à neuf enfants dont Gérard, Claudette, Marcel, Léo-Paul, Hilaire (maintenant décédé), Angèle, Léona, Normand et Edgar. 

La dame avoue que la mort de son fils a été une épreuve pour elle.  Hilaire avait toujours vécu à l’extérieur de l’Île et à sa retraite, il était revenu vivre chez sa mère, devenue veuve.  «J’aimais ça.  On jouait aux cartes. Il a pris malade et il est mort pas longtemps après Léo.  J’ai trouvé ça dur.»

Malgré cette épreuve, la dame aime rire et raconter ses histoires qui se retrouvent sur Facebook grâce à sa fille qui les transcrit.  «Ma mère me racontait des histoires et je trouvais ça intéressant.  J’ai décidé de les écrire et de les mettre sur sa propre page Facebook.  Elle me les raconte en français, des fois je les écris en français, mais comme elle a beaucoup de parenté aux États qui ne parlent pas français, ils utilisent les traducteurs.  Et là, des fois, c’est pas beau.  Alors, pour éviter ça, je les écris en anglais plus souvent.  J’aime ça et ma mère aussi.  «Ça me fait rire de voir tout ce que le monde répond», confirme Angèle. 

Arrêté l’école à 12 ans

On dirait que tous les épisodes de la vie de Denise sont matière à histoire.  «Maman, racontez comment vous avez arrêté l’école», dit soudain Angèle, invitant sa mère à prendre la parole.  Cette dernière se lance alors dans un soliloque venu de très loin.  «J’étais en 6e année.  Je donnais toujours un coup de main pour les animaux sur la ferme.  On avait des cochons et mon père leur faisait cuire des patates.  Il les laissait refroidir dans un seau, à l’entrée de la grange.  Cette fois-là, je sais pas trop comment j’ai fait, je me suis mis le pied dans le seau et j’ai eu des vilaines brûlures.  Ça a pris des mois à guérir. Là j’avais manqué la moitié de ma 6e année.  J’ai demandé à ma mère si je pouvais arrêter l’école.  Elle m’a dit : “Ça reste à toi“.  Alors, j’ai arrêté l’école.  Ma mère était contente parce que ça lui faisait de l’aide dans la maison.  Ma mère était la deuxième femme à mon père.  Elle a eu 14 enfants.  J’étais la quatrième alors il y en a eu 10 après moi.  Mais j’ai regretté d’avoir arrêté l’école.  Toutes mes sœurs ont continué.» 

Denise raconte que sa mère a insisté pour qu’elle continue à lire et à écrire.  Elle trouvait cependant peu d’ouvrages à lire et lisait ce qu’elle trouvait, même en anglais.  «Je ne savais pas lire du tout en anglais. J’ai appris par moi-même.  Asteure, je peux lire n’importe quoi.  Je lis La Voix acadienne», dit la dynamique dame. 

L’écriture a toujours fait partie de sa vie.  «Ma mémoire est moins bonne, mais j’ai tout ça d’écrit quelque part», répond-elle à certaines questions plus précises.  Par ail-leurs, sa fille Angèle a retrouvé dans les affaires de sa mère un petit journal intime écrit à la main par sa mère, alors qu’elle était encore jeune fille.  «Ça couvre 5 ans, de 1940 à 1944. Ce sont des entrées courtes, des petites choses du quotidien. J’en revenais pas de trouver ça.  Ça a 80 ans ce petit livre», dit Angèle. 

Virer la tchuisse, un passe-temps populaire

Angèle est parfois surprise par les souvenirs que sa mère fait surgir.  «Un jour, comme ça, je lui ai demandé ce qu’on ferait dans la soirée.  Et là, elle m’a dit : “On va virer la tchuisse“.  Et là, ça m’est revenu.  J’ai fait ça quand j’étais jeune, mais je l’avais complètement oublié.» Virer la tchuisse était une épreuve de force entre deux personnes, chaque adversaire tenait les jambes de son adversaire dans le but de le retourner. 

«On faisait ça pour passer le temps, avec les cousins, les voisins.  Quand on jouait à ça dans la maison, ma mère n’aimait pas ça parce que ça faisait de la poussière.  Elle nous envoyait dehors», se souvient Denise. 

Couturière ingénieuse

Jeune fille, Denise houquait des tapis sur des sacs de patates en jute, avec de la laine qu’elle avait récoltée directement de la brebis et lavée, avant qu’elle soit envoyée au moulin MacAusland’s pour être cardée et filée.  «Ça nous faisait de la belle laine.  Je la teignais et je faisais des tapis.  Le printemps, le colporteur passait et achetait les tapis.  C’est comme ça que ma mère a pu mettre du prélart sur son plancher.  Il y avait un tapis que j’aurais voulu garder pour moi, mais j’étais pas là quand le colporteur est passé et il est parti avec», se souvient Denise.

Une fois mariée, et les enfants arrivant les uns après les autres, Denise a fait beaucoup de couture pour habiller ses enfants, à partir de vêtements qui venaient de parenté installée aux États. 

«On recevait des barils de linge et de butin.  Une fois, j’avais fait des manteaux aux garçons et il y avait assez de butin pour que je fasse des hoods dans le même matériel.  Ils aimaient ça, c’était chaud.  Les petits garçons d’alentour se sont mis à m’apporter du matériel pour que je leur fasse des hoods (capuchons), j’en ai fait plusieurs.  J’avais un moulin à coudre et j’avais aussi un moulin à tricoter.  Je faisais les hardes de dessous pour les hommes qui travaillaient dehors.»

Jardinière experte

Denise Arsenault a entretenu un grand «petit jardin» potager pendant de nombreuses années.  «Je mettais en bouteille, je conservais au froid.  Je me faisais apporter du sable de la côte pour mettre les carottes et les navets à sécher au soleil.  Quand ils étaient bien secs, je les mettais dans des barils et je pigeais dedans l’hiver.  Quand ça commençait à dégeler, là, fallait les faire cuire.  On disait que les choses qu’on achète au magasin ont des produits chimiques qui sont pas bons pour la santé. Alors je faisais pousser assez pour que ça dure tout l’hiver.  Une fois, j’ai fait 100 bouteilles de gousses.  On en a eu jusqu’à l’été suivant.»

Denise a continué à entretenir son jardin jusqu’à l’âge de 92 ans.  Cet été-là, elle est tombée par terre et ne pouvait plus se lever.  C’était le signe qu’il lui fallait.  «Depuis qu’elle avait 80 ans, on lui disait de rapetisser son petit jardin.  Elle nous disait qu’elle allait le rapetisser, mais au contraire, elle l’agrandissait.  Elle ne pouvait pas endurer qu’un espace reste vide.  Elle plantait quelque chose dans tous les espacesqu’elle avait», rappelle sa fille. 

Angèle profite de ce temps qui lui est donné de côtoyer sa mère.  Ses frères et sœurs viennent voir leur mère régulièrement.  Grâce à Angèle et à Facebook, tous ceux qui le veulent, peuvent suivre les histoires de l’aïeule, pour se divertir et passer le temps.  Ou encore, faire un tournoi de «virer la tchuisse». 

Denise aide aux petites tâches ménagères depuis qu’elle habite avec sa fille, Angèle.  Elle apprécie beaucoup être capable d’aider.

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