La guerre commerciale avec les États-Unis n’en finit pas de faire des montagnes russes. Deux jours après avoir imposé des droits de douane, le président Trump est revenu sur sa décision. La province préfère se préparer au pire et organise la riposte. Pêcheurs, agriculteurs, mais aussi entreprises de l’aérospatiale tentent de diversifier leurs exportations.
Deux jours après avoir imposé des tarifs douaniers de 25 % aux produits canadiens franchissant la frontière, Donald Trump a annoncé jeudi 6 mars une suspension partielle de ces sanctions jusqu’au 2 avril prochain.
Les marchandises concernées par la pause sont celles qui sont régies par l’accord de libre-échange Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), soit 38 % des exportations.
«La pause s’applique à presque tout, ce qui nous arrange. Cela pourrait nous permettre de faire passer la frontière à certaines marchandises pendant que nous en avons encore la possibilité», affirme l’économiste à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, James Sentance.
L’économiste en chef au Conseil économique des provinces de l’Atlantique, Lana Asaff, estime néanmoins que l’incertitude actuelle crée un environnement économique «difficile» : «Ce manque de stabilité sape la confiance et décourage les investissements.»
«La capacité des entreprises à planifier est entravée. Elles peuvent être amenées à suspendre leurs plans stratégiques et opérationnels», poursuit-elle.
Risque de récession
Pour l’instant, le homard fait partie des marchandises exemptées. Le président de Lobster Fishers of P.E.I. Marketing Board, Charlie McGeoghegan, se dit soulagé, mais reste inquiet.
«Notre secteur est extrêmement préoccupé. Si ça arrive, l’effet sera énorme pour l’Île-du-Prince-Édouard, car environ 60 % du homard que nous pêchons est exporté vers les États-Unis», rapporte-t-il.
À l’inverse, quelque 40 % des prises américaines sont envoyées au Canada atlantique, pour y être transformées pendant l’hiver, lorsque les zones de pêche canadiennes ne sont pas exploitées, explique le pêcheur.
«Les homards peuvent traverser plusieurs fois la frontière entre le Canada et les États-Unis. L’arrivée des tarifs douaniers gripperait ainsi un fonctionnement bien huilé et augmenterait les coûts de production», ajoute-t-il.
L’industrie des fruits de mer ne serait pas le seul secteur durement touché. Selon le Conseil économique des provinces de l’Atlantique, plus de 73 % des exportations provinciales étaient destinées aux États-Unis l’an dernier, ce qui a contribué à environ 11 % du Produit intérieur brut de la province.
En 2024, l’île a notamment envoyé pour 900 millions de dollars de produits agricoles à son voisin du Sud.
«Les deux marchés sont très interconnectés. Par conséquent, si les droits de douane entrent en vigueur, l’Île-du-Prince-Édouard n’est pas à l’abri d’une récession», observe Lana Asaff.
«Des années pour développer de nouveaux marchés»
Lana Asaff évoque notamment le secteur de l’aérospatiale, dont 58 % des exportations sont destinées aux États-Unis. «Cette industrie est particulièrement menacée à l’île, car les contrats sont négociés à très long terme. Il est donc beaucoup plus difficile de détourner les ventes vers d’autres pays.»
Tous les acteurs économiques insulaires cherchent désormais à diversifier la provenance de leurs clients. Le Lobster Fishers of P.E.I. Marketing Board s’attelle depuis quatre ans déjà à trouver de nouveaux marchés.
Selon Charlie McGeoghegan, la Chine, par la taille de sa population et son nombre important de millionnaires, a un «potentiel énorme» pour les homards du Golfe du Saint-Laurent. Des pays comme Dubaï ou le Koweït représentent aussi de «belles opportunités».
«Ce ne sera certainement pas facile. Il faut des années et beaucoup de travail pour développer de nouveaux marchés, trouver des partenaires locaux efficaces et dignes de confiance, prévient Lana Asaff. Cela nécessite des coûts initiaux considérables.»
L’économiste évoque des contextes juridique, commercial et culturel différents d’un pays à l’autre, le besoin d’adapter les produits et les services aux réglementations locales.
Pour soutenir les entreprises dans cette tâche, le gouvernement provincial a décidé de doubler le nombre de missions commerciales organisées par Innovation Î.-P.-É. au Canada, en Europe, en Asie du Sud-Est, au Mexique, ou encore dans les Caraïbes. Une aide sera par ailleurs offerte aux compagnies exportatrices qui veulent y participer.
L’économiste Lana Asaff anticipe un risque de récession dans la province si les droits de douane américains se concrétisent. (Photo : Gracieuseté)
Plus de compétitivité et de productivité
Un nouveau fonds d’amélioration et de diversification des exportations a également été lancé, de même que des prêts de secours.
Lana Asaff estime que ce plan de réponse du cabinet de Rob Lantz constitue une «bonne première étape». Elle parle d’un «appui ciblé», qui permettra de «combler les écarts de revenus» et de «retenir les employés».
«Le soutien qu’ils peuvent apporter demeure limité. À moins qu’Ottawa ne participe à l’effort, la province ne dispose que d’une quantité limitée d’argent», nuance James Sentance.
Si les droits de douane se concrétisent et se maintiennent à un niveau élevé, Lana Asaff insiste sur le besoin d’adopter des mesures pour améliorer la productivité et la compétitivité des entreprises insulaires, tout en misant sur le développement de nouvelles compétences chez les travailleurs.
Les experts s’interrogent désormais sur la tournure que prendront les évènements dans les semaines et mois à venir.
«Le problème avec le président Trump, c’est qu’on ne sait jamais, ses actions ne sont pas entièrement rationnelles. Les choses peuvent changer très rapidement, analyse James Sentance. Mais j’espère qu’il y aura suffisamment d’Américains qui se plaignent pour qu’il abandonne définitivement son idée.»
«La pause s’applique à presque tout, ce qui nous arrange», observe l’économiste James Sentance. (Photo : Gracieuseté)