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Par Marine Ernoult - IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
Patrick Taillon, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval.  (Photos : Gracieuseté)

Avec la pandémie de COVID-19, on entend de plus en plus parler des passeports vaccinaux qui se multiplient à travers le monde.  Qu’en penser : est-ce un sésame pour un retour à une vie normale ou une mesure inéquitable et inefficace? Décryptage. 

Dans quels cas pourrait-on exiger un passeport vaccinal? 

Une preuve de vaccination pourrait être requise pour voyager à l’international.  Une telle démarche n’est pas nouvelle, il est déjà obligatoire de se faire vacciner contre certaines maladies tropicales pour aller dans différentes régions de la planète.  «Il n’est donc pas déraisonnable de l’exiger à l’avenir pour la COVID-19», réagit Vardit Ravitsky, professeure de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Mais pour retrouver une liberté de mouvement le plus vite possible, le passeport vaccinal pourrait être exigé au sein même du Canada.  Différentes possibilités sont envisageables.  Il pourrait être obligatoire uniquement pour les personnes les plus exposées au risque d’attraper et de transmettre le virus, les travailleurs essentiels ou ceux du secteur de la santé en contact avec des patients.  Il pourrait être également étendu à l’ensemble de la population canadienne. 

Autrement dit, il s’agirait d’un passe sanitaire qui permettrait d’accéder aux restaurants, aux cinémas, aux salles de concert, aux gyms ou d’assister à des événements sportifs.  

«Je ne suis pas complètement contre, mais j’ai très peur d’une mise en œuvre à grande échelle, il faut s’assurer que ce soit équitable et que ça n’aggrave pas les discriminations», met en garde Vardit Ravitsky.  «L’essentiel, c’est que la liberté d’accéder à ces lieux soit préservée», complète-t-elle.  La bioéthicienne prend l’exemple des restaurants : «Si on n’a pas de passeport, on peut continuer à y aller, mais on doit juste rester en terrasse ou porter un masque à l’intérieur».  Surtout, aux yeux de la chercheuse, la possession d’un passeport ne doit pas devenir une condition pour circuler librement entre les provinces canadiennes.  «Ça devient une entrave trop importante», estime-t-elle. 

Quelle est la position de Justin Trudeau sur un tel dispositif? 

Le Premier ministre du Canada se montre partagé sur la question.  S’il estime qu’un passeport vaccinal pourrait très bien être requis à l’international pour circuler librement entre les pays, il craint qu’une telle exigence pour fréquenter certains lieux au pays ne soit discriminatoire.  «La réalité du passeport va finir par s’imposer à nous, dans le reste du monde l’idée fait son chemin, observe Patrick Taillon, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval.  On a tout intérêt à développer notre propre passeport vaccinal, respectueux d’une certaine éthique et des droits et libertés garantis par la Charte, au lieu d’être passif et de laisser les entreprises privées s’emparer de la question».

Le passeport vaccinal est-il possible d’un point de vue juridique? 

Aux yeux de Patrick Taillon, pour «passer le test des tribunaux», le passeport vaccinal ne devra pas porter atteinte de manière disproportionnée et déraisonnable à la Charte canadienne des droits et libertés.  «Dans le contexte exceptionnel de la pandémie, il est rare que les tribunaux censurent les mesures restrictives adoptées par les gouvernements fédéraux ou provinciaux, les juges considèrent que les intérêts de santé publique justifient les fortes limitations à nos droits et libertés individuels», observe l’expert qui cite les confinements généralisés.  «Tout est donc dans le comment, dans les modalités de mise en œuvre», résume-t-il.

Pour le juriste, le passeport devra être mis en place lorsque les vaccins seront largement accessibles, afin de ne pas créer d’inégalités entre citoyens.  L’autre impératif, selon lui, est de prendre en compte les situations particulières des personnes qui pour des raisons médicales ne peuvent pas se faire vacciner.  Dans ce cas-là, il est indispensable de prévoir des exceptions au passeport, avec des solutions de rechange comme un test négatif récent à la COVID-19 ou la preuve de la présence d’anticorps.  L’autre élément clé d’après lui, c’est de ne pas exclure de la société celles et ceux qui ne détiendraient pas de passeport par conviction personnelle.  «Il faut trouver des accommodations, les obliger à porter le masque par exemple», détaille-t-il.

Enfin, Patrick Taillon insiste sur l’importance que le gouvernement définisse à l’avance qui sera en mesure d’imposer la possession d’un tel passeport.  Les entreprises privées auront-elles cette possibilité? «Si c’est le cas, il faudra vraiment faire attention, car elles ne sont pas soumises au respect de la Charte, contrairement aux gouvernements», prévient-il.  «Si ça devient l’affaire du secteur privé, c’est le pire desscénarios.  Conditionner un emploi à la détention d’un passeport vaccinal n’est pas ethniquement approprié en termes de liberté», renchérit Vardit Ravitsky.  «Le gouvernement doit jouer son rôle de leadership en créant un outil dont il définit précisément les usages, ce qu’on peut et ne peut pas en faire, souligne Patrick Taillon.  Et si les entreprises ne respectent pas ce cadre, elles devront être rappelées à l’ordre, voire sanctionnées».

Le passeport vaccinal est-il efficace d’un point de vue sanitaire? 

Selon Vardit Ravitsky, «on ne sait pas encore exactement si les vaccins bloquent la transmission du virus, ce n’est pas totalement clair».  Depuis quelques mois, les données s’accumulent et suggèrent que les vaccins réduisent grandement la contagiosité des porteurs du virus, mais pas entièrement.  Une partie des vaccinés (entre 5 % et 15 %, selon les vaccins et les profils) développent encore des symptômes légers lorsqu’ils sont infectés après vaccination et pourraient continuer à transmettre le virus.  Un passeport sanitaire ne peut donc pas apporter une garantie sanitaire totale, et seules des investigations plus approfondies permettront d’en savoir plus sur la transmission du virus.  Savoir si un passeport vaccinal est utile relèvera ensuite d’un débat politique.  Pour l’heure, dans la plupart des pays où il existe déjà, il est délivré après la deuxième injection pour une durée de six mois. 

Vardit Ravitsky, professeure de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

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