Patrimoine
11 août 2020

Le 11 août 2020

- Par Marine Ernoult

Les pêcheurs français et acadiens, installés dans la baie de Saint-Pierre, se lancent aussi dans l’agriculture.  Les terres autour de Havre-Saint-Pierre sont en effet très fertiles.

 

- Le Musée acadien de l’Î.-P.-É. et le Musée et la Fondation du patrimoine de l’Î.-P.-É. présentent cette série de profils dans le cadre des célébrations du 300e anniversaire de l’arrivée des Acadiens et des Français à l’Île-du-Prince-Édouard.  Ce projet est rendu possible grâce à l’appui de la province de l’Î.-P.-É. -

 

Capitale commerciale et établissement le plus peuplé de la colonie française de l’Île-Saint-Jean, Havre-Saint-Pierre a prospéré pendant près de 40 ans grâce à la pêche à la morue, avant d’être vidé de ses habitants lors de la Déportation.

 

Les terres, nichées entre la baie de St Peters et les fragiles dunes côtières de Greenwich, sont riches de l’histoire des Acadiens et colons français arrivés à l’Île Saint-Jean (devenue l’Île-du-Prince-Édouard) au XVIIIe siècle.

 

En été 1720, la Compagnie de l’Isle-Saint-Jean, possédée par Louis-Hyacinthe de Castel, comte de Saint-Pierre, envoie 300 immigrants français à l’Île.  L’objectif : fonder une colonie.  Un an plus tôt, la société avait reçu une concession foncière de Louis XV pour établir «des habitants et une pêche sédentaire à la morue».  100 colons s’installent à Port-la-Joye, en face de l’actuelle Charlottetown, tandis que 200 autres partent pour la côte nord de l’Île. 

 

La majorité s’établit sur la rive ouest de la baie de Saint-Pierre (du nom du comte) et fonde Havre-Saint-Pierre.  La direction de la colonie est entre les mains de Robert-David Gotteville de Belile. La communauté devient «la capitale commerciale et l’établissement le plus peuplé de l’Île», selon l’historien Georges Arsenault.

 

Couples mixtes 

 

Malgré les ambitions de Louis-Hyacinthe de Castel, qui n’est jamais venu à l’Île, le succès n’est pas au rendez-vous.  À la fin de 1724, la Compagnie est obligée de cesser ses opérations et l’année suivante, elle perd ses droits de pêche dans le golfe du Saint-Laurent.  La faillite de la société ne provoque pas la disparition de Havre-Saint-Pierre, un certain nombre de colons y restent.  Des pêcheurs continuent à vendre leurs poissons à des marchands de Louisbourg et de France.  En 1728, on dénombre 23 maisons dans la communauté avec une population permanente de 116 personnes, majoritairement des individus nés en France, principalement en Normandie et en Bretagne. 

 

On assiste au fil des années à un brassage de population.  Des couples mixtes se créent.  Des pêcheurs célibataires français épousent de jeunes femmes acadiennes, de l’Île ou de Nouvelle-Écosse.  En 1752, sur 273 personnes, la moitié est au moins en partie acadienne.  La population se concentre sur la rive ouest de la baie, au Havre-Saint-Pierre où se trouvent l’église et le cimetière paroissial, avec certaines familles installées autour de l’Étang Saint-Pierre (lac St Peters), de la rivière à Charles (rivière Morell) et de Havre-aux-Sauvages (Savage Harbour).  Un groupe vit également du côté est de la baie (Greenwich) et quelques autres habitent aussi loin que Five Houses. 

 

Parcs Canada a aménagé un chemin dédié à l’histoire du Havre-Saint-Pierre dans le Parc national de l’Île-du-Prince-Édouard, à l’extrémité ouest de la péninsule de Greenwich.

 

Pêcher à perte   

 

Pendant ses 38 années d’existence, l’établissement français vit de la pêche à la morue.  À partir de 1749, Havre-Saint-Pierre devient même l’un des deux seuls ports de la colonie où l’activité est autorisée à des fins commerciales.  Chaque été, la population double avec l’arrivée d’un grand nombre de pêcheurs français. En 1734, 163 marins saisonniers travaillent ainsi dans la localité alors que la population à l’année est seulement de 176 habitants.  Mais les relations entre résidents permanents et temporaires sont tendues.

 

La pêche reste une activité difficile, ceux qui la pratiquent souffrent d’un manque chronique de matériel.  En 1752, l’agent recenseur Joseph de la Roque écrit : «Tant que les pêcheurs seront obligés de se procurer leur matériel de pêche, leurs fournitures et leur nourriture auprès des marchands de Louisbourg ou d’autres commerçants itinérants, ils se retrouveront toujours à pêcher à perte à cause des prix excessifs des marchandises dont ils ont besoin et des prix de vente dérisoires de leurs poissons». 

 

Les pêcheurs français et acadiens qui diversifient leurs activités et se lancent dans l’agriculture s’en sortent mieux.  Les terres autour de Havre-Saint-Pierre sont en effet très fertiles.  «Tous les habitants qui cultivent le sol récoltent plus de grains qu’ils ne leur en faut pour leur consommation personnelle, plusieurs m’ont fait savoir qu’ils sont capables d’en vendre une partie», observe l’ingénieur militaire Louis Franquet, lors de sa tournée d’inspection de l’Île en 1751.

 

Le Havre Saint-Pierre, aujourd’hui St Peters Harbour, était la capitale commerciale et l’établissement le plus peuplé de l’Île Saint-Jean. 

 

24 familles disparaissent

 

Sept ans après la visite de l’ingénieur, la colonie tombe entre les mains des Anglais.  L’Île est le théâtre d’une déportation massive, qualifiée de «tragédie colossale» par Georges Arsenault.  Environ 3 000 des 4 250 habitants sont expulsés en France.  60 % des déportés ne survivent pas.  Un grand nombre de ces victimes sont originaires de Havre-Saint-Pierre.  Selon le généalogiste Stephen White, au moins 24 familles de cette communauté ont complètement disparu.

 

Après le traité de Paris de 1763, qui met fin à la guerre entre la Grande-Bretagne et la France, quelques familles acadiennes reviennent dans la région désertée de Havre-Saint-Pierre et sont employées par des établissements de pêche possédés par des Britanniques.  Selon le recensement de 1768, la baie de St Peters compte alors 71 Acadiens, mais ce ne sont pas d’anciens résidents.  Ce n’est qu’au XIXe siècle que quelques descendants des premiers habitants de Havre-Saint-Pierre (venus de Nouvelle-Écosse) s’établissent dans le comté de Kings.

 

Pendant ses 38 années d’existence, l’établissement français vit de la pêche à la morue.  À partir de 1749, Havre-Saint-Pierre devient même l’un des deux seuls ports de la colonie où l’activité est autorisée à des fins commerciales.   

 

Vue de la baie de Saint-Pierre où les Français et les Acadiens se sont installés pour pêcher la morue.  (Photos : Marine Ernoult)

Abonnez-vous à La Voix acadienne pour recevoir votre copie électronique ou la version papier