Société
Par Marine Ernoult / IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
Selon Jennifer Taylor, les directions scolaires n’ont pas les ressources et le temps nécessaires pour mettre en œuvre les politiques nutritionnelles de la province, «elles ont besoin de l’aide d’experts extérieurs». (Photo : Marine Ernoult)

Pizzas, frites ou nuggets de poulet sont au menu des écoles de l’Île-du-Prince-Édouard. Une offre en totale contradiction avec les politiques de nutrition scolaire de la province. La professeure de nutrition, Jennifer Taylor, dénonce un manque de volonté politique et appelle à la création de postes de diététiciens dans les écoles. Elle l’assure, donner le goût des bonnes choses est possible, mais prend du temps.

Selon un rapport du vérificateur général de l’Île-du-Prince-Édouard, paru fin août, peu d’écoles suivent les recommandations de la province en matière d’alimentation scolaire saine. 

Si le programme universel de repas est conforme aux lignes directrices, ce n’est pas le cas des petits-déjeuners et des collations, des distributeurs automatiques et des cafétérias exploités par les écoles. 

La professeure de nutrition à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, Jennifer Taylor, ne se dit pas surprise et se montre très critique à l’égard de la nourriture proposée aux élèves scolarisés à l’île. 

Que pensez-vous des conclusions de ce nouveau rapport? 

Ce n’est pas surprenant, absolument rien n’est fait depuis 2016 et l’arrêt de la PEI Healthy Eating Alliance. Cet organisme à but non lucratif donnait de l’argent pour les programmes de petit-déjeuner et de collation tout en éduquant les élèves à une alimentation saine. Nous avions au moins trois diététiciens qui travaillaient avec les écoles et les centres de la petite enfance et surveillaient la mise en œuvre des politiques. 

Depuis, il n’y a aucun poste de diététicien au sein des ministères de la Santé et de l’Éducation ayant la responsabilité de contrôler la politique alimentaire existante, qui est de toute façon obsolète. Il n’y a aucun engagement politique, le ministère de la Santé ne joue aucun rôle actif. 

Il y a bien une diététicienne au bureau de la santé publique, mais elle travaille dans le domaine de la promotion de la santé et n’a pas de mandat précis pour s’occuper de nutrition scolaire. 

J’espère que ce rapport incitera les décideurs politiques à allouer des ressources supplémentaires à la diététique. Il ne faut pas se contenter d’être un policier, se limitant à des visites de contrôle occasionnelles. 

Il s’agit vraiment d’aller sur le terrain, d’apporter un soutien aux personnels des écoles. Seules, les directions scolaires n’ont pas les ressources et le temps nécessaires, elles ont besoin de l’aide d’experts extérieurs. 

Des diététiciens peuvent les aider à mettre en place de nombreuses stratégies pour inciter les enfants à manger plus sainement. Cela passe aussi par un partenariat formalisé et financé entre le ministère de l’Éducation et celui de la Santé.

Si l’on parle de repas bons pour la santé, mais que l’on continue à vendre des barres chocolatées ou des boissons ultra-sucrées, cela ne renvoie pas un message cohérent aux jeunes. Le marketing à l’école, ce à quoi les enfants sont exposés, a un impact sur leurs habitudes alimentaires. 

Le rapport recommande aussi que la politique provinciale s’aligne sur le Guide alimentaire canadien de 2019. Qu’est-ce que cela va changer pour les établissements scolaires? 

Il est très difficile pour les écoles de s’en servir comme d’un mode d’emploi. Car ce guide repose sur le concept d’assiette équilibrée. Ça dit aux gens que la moitié de leur nourriture doit être composée de fruits et de légumes, qu’un quart doit être composé de protéines et un autre quart de céréales complètes. 

Sur le papier, c’est une bonne idée, le problème réside dans la mise en œuvre. Les traiteurs scolaires ont besoin d’un peu plus de précisions pour savoir ce qui répondra aux nouveaux critères. Le ministère fédéral Santé Canada en a conscience et mène actuellement une consultation afin d’élaborer quelque chose de plus concret. 

Ce guide met aussi davantage l’accent sur les protéines d’origine végétale, comme les haricots et les lentilles. Le groupe des produits laitiers a par ailleurs été supprimé. Certains nutritionnistes s’en inquiètent, car il s’agit de la meilleure source de vitamine D et de calcium.

Comment les écoles peuvent-elles éduquer le goût des élèves? 

Elles doivent proposer de manière systématique et répétée des aliments sains et savoureux. Elles peuvent essayer une soupe au curry ou de type chili, qui contient moins de bœuf ou du poulet haché, ou qui est simplement à base de plantes avec des haricots et des légumes.

Mais c’est à l’élève d’être ouvert à l’idée d’essayer de nouveaux aliments, c’est à lui de décider ce qu’il mange et en quelle quantité il le fait. Nous ne pouvons pas contrôler cela et nous ne pouvons pas non plus contrôler les dîners venant de la maison. 

C’est très important d’associer les enfants à tout le processus, d’en parler avec eux et de commencer progressivement par de petites quantités. 

Des recherches ont montré que si l’on rend un jeune enthousiaste à l’idée d’essayer un nouveau légume, un nouveau fruit, une nouvelle soupe ou autre, ses pairs seront plus enclins à le faire avec lui. 

Tout cela prend du temps. Et nous devons accepter qu’il y ait des choses que les enfants ne mangeront pas ou seulementà un certain stade de leur vie. 

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