Année après année, les vagues de chaleur se multiplient et s’intensifient à l’Île-du-Prince-Édouard. Les personnes en situation d’itinérance sont souvent les premières victimes de ces évènements météorologiques extrêmes, explique la chercheuse Ariane Préfontaine, qui regrette le manque d’adaptation des villes.
L’Île-du-Prince-Édouard a d’ores et déjà connu quatre vagues de chaleur cette année. La première a commencé les derniers jours du printemps : les 19 et 20 juin dernier, les températures ont dépassé les 30 °C. Les personnes en situation d’itinérance, dont le nombre augmente dans la province, sont en première ligne face à ces épisodes climatiques extrêmes.
Ariane Préfontaine, chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités, également auteure d’un rapport sur le sujet, détaille les répercussions de ces fortes chaleurs sur les sans-abri et les solutions possibles tout en pointant l’action insuffisante des villes.
Les fortes chaleurs font courir quels risques aux personnes en situation d’itinérance?
L’été a longtemps été considéré comme une période de répit. Jusqu’à récemment, les acteurs se préoccupaient beaucoup plus des répercussions des grands froids. Cependant, avec les changements climatiques, les vagues de chaleur sont de plus en plus présentes et longues.
Ça rend le quotidien des personnes en situation d’itinérance encore plus éprouvant. Elles vivent souvent dans des îlots de chaleur urbains où les températures sont plus chaudes qu’ailleurs. Pour elles, les conséquences peuvent être mortelles.
L’isolement social, les maladies chroniques et la consommation de substances les rendent plus vulnérables. Une étude menée à Toronto a montré que le fait de vivre avec un diagnostic psychiatrique triple le risque de décès lors d’une vague de chaleur.
L’exposition à des températures très élevées peut exacerber des problèmes de santé préexistants, en créer des nouveaux. La déshydratation, les coups de soleil, les difficultés à dormir, la léthargie, les vertiges, les problèmes cardiovasculaires, la liste est longue.
Au sein de la population itinérante, les femmes, les aînés, les Autochtones, mais aussi les personnes en situation de handicap et appartenant à la communauté 2SLGBTQIA+ sont encore plus fragiles, car ils ont accès à moins de ressources. Ils n’ont souvent aucun refuge pour se protéger de la chaleur.
A-t-on des chiffres sur le nombre de sans-abri décédés ou hospitalisés à cause de fortes chaleurs?
Nous manquons de données à travers le pays sur la manière dont ils sont affectés par la chaleur. Mais, une récente étude américaine a montré qu’en 2023 plus de 40% des décès d’itinérants dans un comté de l’Arizona étaient reliés à la chaleur.
Les solutions mises en place pour aider les itinérants sont-elles à la hauteur?
En amont, les systèmes d’alerte au public qui préviennent de l’arrivée de fortes chaleurs ne fonctionnent pas avec les personnes en situation d’itinérance. Elles n’ont pas les cellulaires qui leur permettraient de recevoir les messages textes.
Après, les refuges n’ont souvent pas l’air climatisé. À l’extérieur, il y a trop peu de haltes fraîcheur ou de lieux publics avec de l’eau pour s’hydrater et se rafraîchir. De même, l’accès à des endroits frais et ombragés, ouverts à tous, est souvent compliqué.
Les itinérants doivent parfois marcher longtemps pour se rendre dans un parc ou un square. Il y a aussi un enjeu de cohabitation sociale. Face au malaise de certains habitants, les itinérants peuvent être réticents à aller se rafraîchir dans des espaces publics.
Les villes prennent-elles en compte ces enjeux sociaux dans leur plan d’adaptation aux changements climatiques?
Ces plans sont récents et ils font l’impasse pour la plupart. Les quelques mesures que l’on peut trouver ne sont souvent pas adaptées à la réalité et ne répondent pas aux besoins, car les municipalités considèrent les itinérants comme un groupe homogène, ce qu’ils ne sont pas. C’est vraiment un angle mort.
On a besoin de travailler cette question pour avoir des plans consacrés au climat davantage porteurs de justice sociale. On a besoin de plus d’endroits sécuritaires où les plus vulnérables peuvent entreposer leurs affaires et se reposer à l’abri de la chaleur.