Société
Par Marine Ernoult / IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
«Donner des aliments à des associations n’est pas une solution permanente, il faut s’attaquer en priorité à la source du gaspillage en prévenant la surproduction», insiste la professeure Heather McLeod-Kilmurray. (Photo : Gracieuseté)

Cet été, le ministère provincial de l’Agriculture lance une vaste consultation publique en vue d’élaborer la première stratégie de réduction du gaspillage alimentaire de l’Île-du-Prince-Édouard.  Les Prince-Édouardiens peuvent répondre à un sondage en ligne jusqu’au 14 août pour faire part de leurs réflexions et de leurs préoccupations.

«C’est assez inédit, c’est la première stratégie de ce type que je vois au niveau provincial», salue d’emblée Heather McLeod-Kilmurray, codirectrice du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale à l’Université d’Ottawa. 

Selon la professeure de droit, une vraie volonté de concertation ressort d’ores et déjà des documents mis en ligne sur le site internet de la province.

«Ça a l’air très bien organisé et assez collaboratif entre tous les acteurs concernés, de l’agriculteur au consommateur en passant par le secteur de la distribution […] ce genre de modèle est excellent», estime-t-elle. 

La spécialiste fait le parallèle avec l’expérience française. En 2013, des représentants d’entreprises, d’associations et de collectivités locales ont signé un pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Depuis, la France a adopté des réglementations ambitieuses qui en font un leader sur le sujet. 

En 2016, la France a ainsi été le premier pays au monde à adopter une loi interdisant de détruire des denrées encore consommables et imposant aux supermarchés la signature de conventions pour donner leurs invendus à des associations de solidarité alimentaire. 

S’attaquer en priorité à la surproduction 

Les donateurs reçoivent des incitations fiscales rétribuant ces dons de produits abîmés, trop proches de leur date de péremption, ou simplement inappropriés sur le plan nutritionnel ou gustatif. 

«C’est quelque chose dont pourrait s’inspirer l’Î.-P.-É., on peut aussi imaginer un système de taxe sur les déchets», observe Heather McLeod-Kilmurray. 

La directrice de l’organisme Deuxième Récolte à l’Î.-P.-É. Emily Browning applaudit également l’initiative de la province : «Une stratégie est toujours une bonne chose, car elle formalise l’action et oblige les acteurs à prendre leurs responsabilités.»

L’an dernier, Deuxième Récolte a sauvé plus de 200 tonnes de nourriture des poubelles de l’île. À l’échelle du pays, les ménages canadiens jettent en moyenne 140 kg de nourriture par an, l’équivalent de 1 300 dollars. Ce sont les résultats d’une enquête menée par le Conseil National Zéro Déchet. 

Selon une autre étude de Deuxième récolte, 11,2 millions de tonnes d’aliments comestibles sont gaspillés chaque année au pays et «seulement 4 % sont récupérés et redistribués», précise Emily Browning. 

2 Deuxième Récolte à lÎ. P. É. Emily Browning

Pour Emily Browning de Deuxième Récolte, l’accent doit être mis, en amont, sur la formation professionnelle et la sensibilisation du grand public. (Photo : Gracieuseté)

Pour venir à bout de ce problème systémique, les solutions de redistribution et de revalorisation des surplus ne suffisent pas. 

«Donner des aliments à des organismes de charité n’est pas une solution permanente, il faut s’attaquer en priorité à la source du gaspillage en prévenant la surproduction», insiste Heather McLeod-Kilmurray.

Besoin de sensibilisation et de concertation 

Si le sondage mis en ligne par la province se concentre sur le gaspillage des consommateurs, le ministère de l’Agriculture prévoit, dans un deuxième temps, de «consulter des partenaires impliqués dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et les services alimentaires.»

Heather McLeod-Kilmurray y voit un bon signe : «Cette formulation suggère qu’ils ne vont pas se limiter à réduire le gaspillage des consommateurs, qu’ils vont aussi s’attaquer à celui des producteurs, des commerçants au détail.»

Pour Emily Browning, l’accent doit aussi être mis, en amont, sur la formation professionnelle et la sensibilisation du grand public afin de faire évoluer certaines habitudes de surconsommation.

La responsable prend l’exemple des fruits et légumes moches auxquels les consommateurs tournent le dos, alors qu’ils ont les mêmes qualités nutritionnelles que leurs homologues brillants aux formes impeccables. 

Les deux spécialistes plaident enfin pour que les entreprises soient obligées de mesurer et de partager les quantités de déchets alimentaires qu’elles génèrent. 

«J’aimerais qu’un grand nombre d’options se dégagent des consultations, car il y a vraiment beaucoup de choses que l’on pourrait tester et qui pourraient fonctionner», partage Emily Browning. 

Une seule certitude, le succès de la lutte contre le gaspillage nécessitera de trouver des réponses collectivement, en mettant toutes les parties prenantes concernées autour de la table. 

 

Abonnez-vous à La Voix acadienne pour recevoir votre copie électronique ou la version papier

Société