Le sirop d’érable ne se limite pas au Québec. Il y a aussi des acériculteurs à l’Île-du-Prince-Édouard. Mais la production de cet or ambré pourrait être menacée par le réchauffement climatique d’ici la fin du siècle. D’ores et déjà, la saison des sucres commence de plus en plus tôt.
L’Île-du-Prince-Édouard possède une petite industrie du sirop d’érable. Selon les données les plus récentes de Statistique Canada, la province compte dix érablières. La majorité des producteurs sont de petites entreprises familiales.
Parmi eux figure l’entreprise PEI Maple Syrup Company qui vend notamment son sirop d’érable au marché fermier de Charlottetown.
Hazel Grove Sugar Shack est un autre acériculteur présent sur le marché fermier. Les propriétaires ont commencé leur production en 2013 et entaillent désormais plus de 700 arbres.
Mais la petite taille des peuplements d’érable à sucre et la rareté de grands arbres capables de produire de grands volumes de sève ont limité la croissance de l’industrie.
Ces contraintes n’ont pas découragé Louis Turgeon. Québécois d’origine, le quinquagénaire a décidé de faire pousser des érables à sucre au bord de la route 11, entre Saint-Chrysostome et Baie-Egmont. Depuis 2020, il en a planté une trentaine, âgés de trois à huit ans.
«C’est encore un projet en gestation, il faudra au minimum 20 ans pour que je récolte quoi que ce soit, mais les arbres se portent bien», assure-t-il.
L’autodidacte surveille la croissance de ses jeunes pousses et les entretient tout au long de l’année. Il coupe notamment les petites branches qui pourraient les fragiliser.
Des nuits plus chaudes, un dégel hâtif
Les impacts des changements climatiques pourraient néanmoins compromettre ses rêves de sirop d’érable.
D’ici la fin du siècle, la niche climatique de l’érable, c’est-à-dire là où les conditions sont favorables à son développement, risque de se déplacer. Elle devrait s’étendre vers le nord et des zones plus au sud en sortiraient, y compris dans les Maritimes.
«Selon certaines projections, les conditions deviendraient propices à la croissance de l’érable très loin au nord, à des endroits où il n’y a pas de forêt aujourd’hui», révèle Dominique Gravel, biologiste à l’Université de Sherbrooke, lui-même acériculteur.
«Mais ça va prendre des millions d’années, en réalité, les érables vont progresser vers le nord de quelques kilomètres tout au plus», ajoute-t-il.
À l’extérieur de sa niche climatique, l’érable pourrait être confronté à des difficultés de régénération, à une plus grande vulnérabilité aux insectes et aux maladies et même à une mortalité accrue.
L’autre enjeu, ce sont les conséquences du réchauffement planétaire sur la production de sirop d’érable.
Pour produire la sève récoltée, un processus de gel et de dégel est nécessaire au printemps, avec de belles journées ensoleillées précédées de nuits froides.
«Ces cycles de chaleur et de refroidissement sont menacés. On s’attend à des nuits moins froides et à des jours de dégel qui arrivent de plus en plus tôt», observe Dominique Gravel.
De son côté, Louis Turgeon se dit «plus ou moins inquiet» : «À très long terme, ça pourrait effectivement affecter ma production.»
Menace des insectes ravageurs
Jusqu’à présent, le dérèglement climatique se manifeste surtout par un déplacement de la saison des sucres, «qui commence plus tôt», selon Dominique Gravel.
«À l’avenir, la période de récolte devrait avancer de trois semaines», poursuit-il.
Le scientifique s’inquiète également des événements météorologiques extrêmes. Des précipitations abondantes, de grosses chaleurs ou de longues périodes de sécheresse risquent d’entraîner un stress pour les érables.
«Les incendies sont particulièrement préoccupants, car l’érable à sucre est mal adapté aux feux de forêt, ils meurent systématiquement», affirme Dominique Gravel.
Dans le même temps, les insectes ravageurs profitent, eux, du réchauffement. À cause de températures hivernales plus douces, leur taux de survie est plus élevé et ils progressent vers le nord.
Jusqu’à 150 espèces d’insectes s’alimentent des feuilles d’érable, dont une douzaine cause déjà d’importants dégâts. C’est le cas de la livrée des forêts, qui provoque le plus de ravages pendant les sécheresses. Et de nouvelles bestioles invasives arrivent, que ce soit le longicorne asiatique ou encore le fulgore tacheté.