En juin 2017, Sylvie Toupin, alors de Mont-Carmel, a reçu un diagnostic qui allait bouleverser sa vie et celle de sa famille. Un cancer relativement peu commun grugeait ses os. On lui donnait cinq ans et elle est dans sa huitième année. Sa famille, ses amis et ses passions la soutiennent, de même qu’une équipe médicale «phénoménale».
Sylvie Toupin est atteinte d’un myélome multiple, un cancer du sang. «C’est génial. Je produis moi-même les cellules qui bouffent mes os», dit-elle avec une pointe d’ironie.
À l’heure actuelle, en ce début d’automne 2024, la colonne vertébrale et la cage thoracique de Sylvie sont très atteintes. «Les derniers rayons X que nous avons vus laissaient voir des trous un peu partout. J’estime qu’il manque 30 % de sa colonne vertébrale», dit Jacques Arsenault, le mari de Sylvie, et son proche aidant. C’est au point qu’un simple éternuement pourrait entraîner des fractures.
«Je ne vais pas vite. Je fais attention. Mais j’ai des journées où je me sens assez bien pour aller prendre une crème glacée avec Jacques. On savoure ces moments, lentement et avec reconnaissance», dit Sylvie.
Malgré ce cancer qui lui donne du fil à retordre, Sylvie préfère mettre son énergie en priorité sur d’autres sortes de fils, ceux qu’elle tricote et qu’elle file au rouet. «Quand j’avais 12 ans, j’ai fait mon premier patron de Shetland, sans savoir que c’était si spécial. Depuis, j’ai appris que ces dentelles servent de cadeaux à la royauté. Et je suis en train de tricoter un châle en laine de Shetland, en utilisant des patrons qui n’avaient pas été vus depuis 150 ans et qui ont refait surface dans un livre au cours des récentes années. Pour moi, c’est le bonheur total. J’ai même commandé de l’authentique laine de Shetland spécifiquement pour ce projet», dit-elle, en manipulant le tricot aérien et blanc comme neige.
Sylvie préfère parler de ses passions que de parler de son cancer. «Je sais qu’il est là. Il est comme un locataire indésirable qui a un bail à vie et qu’on n’a pas le choix d’endurer. Très tôt, dans mon cheminement d’acceptation, j’ai fait le choix non pas de me battre contre mon cancer, mais de vivre avec. Il ne veut pas s’en aller et moi non plus, je ne suis pas prête à partir.»
Cette cohabitation est possible grâce à une équipe médicale hors du commun. «Je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde, mais pour moi, le système de santé est extraordinaire. Si j’ai besoin de quelque chose, d’un traitement, d’un examen, ça bouge toujours très rapidement et avec gentillesse. Et après je me dis : “Est-ce que je dois m’inquiéter qu’on s’occupe de moi si rapidement“. Je n’ose pas trop y penser.»
De l’or en barre
Le mot «dispendieux» est faible pour parler des prix rattachés à certains des traitements qui aident Sylvie à entretenir sa propriété, en dépit des dommages que son «locataire» s’entête à causer. «Certains des médicaments que Sylvie prend coûtent 6 000 $ pour un seul comprimé. Une fois par mois, elle reçoit un traitement de chimiothérapie qui coûte 15 000 $», dit Jacques Arsenault, avec un brin de révolte dans la voix. Par chance, le programme de la province pour les médicaments onéreux paie une partie tandis que la compagnie qui fabrique les comprimés à 6 000 $ les fournit gratuitement à la patiente, par compassion. «S’il fallait que je paie pour tout cela, je serais morte, c’est clair, je n’ai pas d’assurance privée», rappelle Sylvie Toupin.
La famille n’avait pas non plus d’assurance pour leur maison de Mont-Carmel qui a brûlé en août 2020. «On a tout perdu sauf nos vies. Nos instruments de musique… ma concertina. Elle était au bord de la porte. Avec un peu plus de présence d’esprit, j’aurais pu la sauver. J’ai une nouvelle concertina, qui m’a été donnée par mes amis et la famille. Je ne me verrais pas traverser ces épreuves seule dans mon coin. Toutes ces personnes qui m’entourent sont de l’or en barre pour moi.»
Maladie «populaire»
Le myélome multiple n’est pas fréquent et malheureusement, il n’est pas rare non plus. «C’est un cancer “populaire“ au sens où la recherche de nouveaux traitements est très poussée. Un exemple : lorsque j’ai été diagnostiquée en 2017, le traitement le plus récent était la greffe de cellules souches. Pour diverses raisons, je n’ai pas voulu ce traitement. Maintenant, ils ne le recommandent plus du tout. Un autre exemple : au début, je recevais mon traitement de chimiothérapie par intraveineuse, ce qui prenait de quatre à cinq heures. Maintenant, je reçois ma chimiothérapie par daratumumab, ce qui prend cinq minutes.»
Très lucide par rapport à sa maladie et aux traitements qui changent et se perfectionnent, Sylvie Toupin se sent un peu comme un sujet d’étude. Des échantillons de son sang sont analysés régulièrement pour ajuster les doses. Des effets secondaires trop sévères entraînent l’arrêt de certains médicaments tandis que d’autres s’ajoutent.
On devient très savant lorsqu’on souffre d’une maladie aussi envahissante et lorsque, comme Sylvie, on veut tout savoir. «Je n’aime pas les surprises. Si ça fait mal, je veux le savoir et me préparer, dit-elle.
Maintenant installés à Abram-Village, Sylvie Toupin et Jacques Arsenault jouent leur vie avec les cartes qui leur ont été distribuées. «Ce n’est certes pas ce que nous avions prévu. Lorsque la maison a brûlé, Jacques venait de terminer les rénovations. Il manquait une planche pour que le deck soit complété, les deux salles de bain avaient été refaites. On continue d’y penser, à ce que nous avons perdu, mais on aime mieux aller de l’avant. On prend les meilleures décisions possibles sur le moment et on ne vit pas dans le regret. Si on avait le choix, ça serait différent…»