Chroniques
Par Claire Lanteigne
Le pont de la Confédération. Photo : Ron Gilles, Unsplash

Lors de la décision de l’ÎPÉ de rejoindre la Confédération en 1873, il avait été convenu qu’un lien permanent relierait l’ÎPÉ et le Nouveau-Brunswick et par conséquent le reste du Canada. Sachant l’importance de maintenir des liens avec le continent, les chefs politiques de l’Île exigent du gouvernement fédéral d’instaurer et d’entretenir un service de transport des passagers et du courrier en toute saison entre l’île et le continent, conditions qui sont inscrites dans le décret d’adhésion.

Dans les premiers temps, cette promesse s’avère difficile à tenir. Les navires ne peuvent faire face à l’épaisseur de glace qui bloque le détroit de Northumberland en hiver, et le service de traversier est souvent interrompu pendant plusieurs jours à la fois. En 1885, le sénateur insulaire George Howlan lance pour la première fois l’idée d’une construction permanente reliant l’île et le continent. Il préconise une structure en forme de tunnel reposant au fond de l’océan. Un an plus tard, une délégation insulaire se rend à Londres pour vanter les mérites d’un tunnel ferroviaire, mais ses efforts restent lettre morte.

Au fil des années, la construction des navires se modernise et ceux-ci sont mieux à même d’affronter les conditions hivernales difficiles qui sévissent dans le détroit. C’est en 1917 que le premier transbordeur brise-glace de la province, Prince Edward Island, commence la traversée entre les nouveaux ports de Borden et de Cape Tormentine. Le navire allait demeurer en service jusqu’en 1968. Le navire MV Abegweit, le transbordeur de passagers et de voyageurs bien-aimé, est inauguré en 1947. 

Cependant, même si le service de traversier s’améliore, l’idée d’une liaison permanente continue de faire son chemin. L’idée est revenue sur le devant de la scène en 1962, lorsque le Premier ministre John Diefenbaker annonce qu’Ottawa investira 105 millions de dollars pour construire une route sur digue capable de supporter les véhicules et les trains. Bien que John Diefenbaker perde les élections, le gouvernement libéral qui lui succède décide de maintenir son projet. Les travaux commencent, mais en 1969, avec les prévisions de coûts qui s’envolent, le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau annule le projet.

À la fin des années 1980, le gouvernement fédéral devant faire face à des coûts toujours plus importants pour subventionner le service de traversier entre le continent et l’île, Ottawa décide de sonder l’intérêt de sociétés privées à construire, exploiter et entretenir une structure permanente reliant l’île au continent. Douze groupes soumettent des propositions de projet, que le gouvernement fédéral se dit prêt à soutenir, dès lors que l’Île-du-Prince-Édouard s’y montre favorable.

Malgré des décennies de plaintes relatives au service de traversier, l’idée de construire une liaison permanente suscite la controverse parmi les Insulaires. Le Premier ministre Joe Ghiz choisit de ne pas prendre position publiquement et demande un plébiscite pour permettre aux insulaires de trancher la question. Le débat mobilise rapidement l’ensemble de la province. L’organisme Friends of the Island, une coalition réunissant un syndicat (inquiet de la perte des emplois liés au traversier), des pêcheurs et des écologistes, soutient que le pont augmenterait le nombre de personnes arrivant sur l’île, ce qui, compte tenu de sa petite taille, mettrait en péril leur «mode de vie insulaire» particulier. D’un autre côté, le groupe  Islanders for a Better Tomorrow, en grande partie axé sur les affaires, fait valoir qu’un pont favoriserait le tourisme et permettrait d’approvisionner le continent de manière fiable et économique en produits locaux et agricoles. 

Le 18 janvier 1988, un vote parmi la population insulaire révèle que 59,4 % des Insulaires sont en faveur d’explorer des possibilités quant à un lien fixe rattachant la province au continent, tandis que 40,6 % n’y sont pas favorables. La moitié des gens qui sont favorables au projet potentiel sont d’avis que le lien devrait être un tunnel et affirment plus tard qu’ils auraient voté contre le pont.

Le gouvernement de l’Î.-P.-É. approuve officiellement le projet à certaines conditions. Il exige du gouvernement fédéral – qui lui accorde – l’indemnisation et la rééducation professionnelle de plus de 650 membres du personnel des traversiers qui perdront leur emploi, l’indemnisation des pêcheurs dont les territoires de pêche seront perturbés par la construction et la promesse que la construction apportera des avantages économiques importants à l’Î.-P.-É.

Finalement, en 1993, après une série d’études environnementales et de contestations judiciaires à l’initiative de la coalition Friends of the Island, Ottawa signe une entente avec un consortium privé, Strait Crossing Development Inc.  Au plus fort de l’activité, le projet occupe presque 2 500 personnes. Le coût final du projet est estimé à 840 millions de dollars et, selon le gouvernement de l’Î.-P.-É., 70 % de ce montant a été dépensé sur l’île. Vers la fin du projet, le gouvernement fédéral crée un comité consultatif destiné à trouver un nom au pont. Le public est invité à soumettre des suggestions et environ 2 200 personnes se prêtent à l’exercice. Le 27 septembre 1996, Ottawa annonce le nom choisi, à savoir le «pont de la Confédération» qui sera finalement inauguré le 31 mai 1997.

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Le pont de la Confédération lors de sa construction Photo : www.confederationbridge.com