Aujourd’hui parfaitement bilingues, les enfants de Tina McInnis se réjouissent de pouvoir poursuivre leurs études dans la langue de leur choix. (Photo : E.M.)
Les parents anglophones ou de couples exogames sont de plus en plus nombreux à choisir l’école en français pour leurs enfants, à l’Î.-P.-É. comme au Canada. Pour mieux comprendre leurs besoins en matière d’accompagnement, la Commission nationale des parents francophones (CNPF) lesa sondés cet automne. Les résultats préliminaires démontrent une réelle volonté chez ces parents d’accompagner leurs enfants par tous les moyens possibles.
Cet accompagnement se révèle toutefois complexe, en particulier pour les parents qui ne parlent pas du tout le français. «À l’Île, plusieurs ont des racines acadiennes, mais ont été assimilés dans les années 50-60. Ils veulent redonner la chance à leurs enfants d’être en contact avec cette culture et d’avoir plus d’opportunités grâce au bilinguisme», constate la docteure Mary MacPhee.
Elle a défendu en février dernier sa thèse intitulée «L’expérience des parents non francophones ayant des enfants dans des écoles de langue minoritaire à l’Île-du-Prince-Édouard : une étude à méthode mixte».
Au cours des cinq dernières années, Mme MacPhee s’est entretenue avec une quarantaine de parents anglophones de l’Île, et en a sondé le double. Ses conclusions sont similaires à celles du sondage de la CNPF, comme quoi les parents anglophones veulent accompagner leurs enfants qui étudient en français, mais ne savent pas toujours comment.
Trouver le rôle à jouer
Les devoirs sont un thème récurrent dans ces discussions, comme les parents anglophones peinent à aider leurs enfants puisqu’eux-mêmes ne comprennent pas la langue. «À la maternelle, les enfants rapportent des livres à la maison, et les parents ont peur de mal prononcer les mots et que cela les mette sur la mauvaise piste», illustre Mary MacPhee. Même pour les mathématiques, soutient la chercheuse, les exercices sont de plus en plus axés sur des problèmes écrits qui comportent des mises en scène, et rendent la tâche difficile aux parents non francophones.
Tina McInnis est l’un de ces parents anglophones à avoir choisi l’école en français pour ses enfants, Keegan et Emma. «On a du sang acadien, donc on a voulu ramener le français dans nos vies et ouvrir davantage de portes à nos enfants», explique la mère des jeunes de 11e et 7e année.
«Depuis le temps qu’ils étudient en français, je pensais que j’aurais appris aussi, mais non», indique-t-elle, en soulignant l’immense fierté qu’elle ressent à ce que ses enfants soient bilingues.
Tina McInnis se considère chanceuse, car l’ensemble de la communauté et les enseignants ont offert beaucoup de support au fil des ans. Elle a également développé des stratégies pour tenter d’aider les enfants dans leur apprentissage, car comme le rapporte Mary MacPhee, elle avait peur de leur nuire plutôt que le contraire. «Au lieu d’essayer moi-même de prononcer les mots, je les enregistrais pour qu’ils puissent se réécouter et se corriger eux-mêmes», raconte-t-elle.
Dans le même ordre d’idées, plusieurs ont confié à Mary MacPhee qu’ils étaient réticents à se rendre à l’école pour demander de l’aide par crainte de parler anglais dans un établissement francophone. «Je pense que c’est important de savoir à quel point ces parents veulent s’impliquer, mais ont besoin d’aide pour le faire. C’est difficile quand ils n’osent pas le faire savoir», note-t-elle.
Poursuivre l’apprentissage hors école
Mary MacPhee place la bonne communication en priorité dans les étapes pour résoudre la question. «Il faut expliquer aux parents anglophones comment traduire les communications de l’école, comment avoir accès aux programmes francophones, et quelles ressources sont disponibles pour eux?», affirme la chercheuse.
Quand les enfants étaient plus jeunes, Tina McInnis a beaucoup profité des activités organisées par Cap enfants, ou dans la région Évangéline. «L’accès à des activités francophones, ou par exemple aux bibliothèques où il est possible d’emprunter des livres et des enregistrements audio, c’est un aspect primordial pour encourager l’enfant à continuer son apprentissage», constate Mary MacPhee.
Une autre idée pourrait être la mise en place, des rencontres mensuelles incluant les parents anglophones, avance-t-elle. D’après le sondage qu’a mené la docteure pour sa thèse, plusieurs parents se questionnent à savoir s’ils font le bon choix pour leur enfant, d’autant plus lorsque celui passe à l’école intermédiaire ou secondaire. «Une formation pour les enseignants et l’administration ne serait pas de trop, pour qu’ils sachent comment gérer le nombre croissant de parents anglophones», propose Mary Macphee.
Le projet Voir Grand de la Fédération des parents de l’Î.-P.-É. (FPÎPÉ) est un exemple d’initiative qui permet d’inclure les parents anglophones, et les encourage à poursuivre l’éducation de leurs enfants en français. C’est aussi une réaction en dominos, comme en grandissant ces enfants joueront également un rôle d’ambassadeurs de la langue de Molière. «Je trouve que la communauté francophone est de plus en plus ouverte, et c’est tant mieux parce qu’ainsi les francophiles de plusieurs horizons peuvent s’y joindre», enchaîne la doctorante.
Avec leur grand-père, les enfants de Tina McInnis peuvent désormais parler français, ce qui réjouit énormément leur aïeul. Plutôt que de craindre l’arrivée d’enfants issus de milieux anglophones dans les écoles francophones, croit Mary MacPhee, il faut le voir comme une opportunité de faire grandir le français à l’Île. Pour la CNPF comme pour la FPÎPÉ, la prochaine étape consiste à développer des outils pour accompagner les parents anglophones dans tout le continuum scolaire. Si les sondages révèlent une chose, c’est que l’engouement de ces derniers est bien présent.
- Par Ericka Muzzo