La littérature acadienne suscite de plus en plus d’intérêt et s’exporte de mieux en mieux. Mais les éditeurs ont parfois du mal à trouver de nouveaux auteurs. Donner le goût de l’écriture et de la lecture aux jeunes et aux moins jeunes est loin d’être évident en situation minoritaire. Les autrices et éditrices interrogées insistent sur le rôle de l’école et des parents.
«La littérature acadienne va très bien, elle rayonne au-delà des frontières de l’Atlantique, jusqu’en Corée du Sud et en Turquie», affirme Marie Cadieux, directrice littéraire et générale des éditions néo-brunswickoises Bouton d’or Acadie.
«Il y a de plus en plus d’auteurs, qui sont de plus en plus visibles et reconnus», renchérit l’écrivaine acadienne Carolle Arsenault, dont le dernier ouvrage Yelle est publié aux Éditions de la Francophonie.
Si le secteur se porte bien, Marie Cadieux explique qu’il est difficile de dénicher de nouveaux talents à l’extérieur du Nouveau-Brunswick et notamment à l’Î.-P.-É.
Elle met en cause l’absence d’université francophone qui donne des cours d’études et de création littéraire : «Le terreau et le milieu critique pour permettre aux jeunes de développer une écriture originale en français sont moins présents.»
Dans les salles de classe, les enseignants encouragent les enfants à écrire en français, mais «à l’adolescence ils se mettent à lire en anglais et perdent leurs références culturelles, car la culture ambiante est anglophone», poursuit la responsable.
Ateliers d’écriture et rencontres
Carolle Arsenault témoigne de sa propre «insécurité linguistique» qui l’a empêchée pendant des années de se lancer dans la rédaction d’un roman dans la langue d’Antonine Maillet.
«C’était mon rêve depuis toute petite, mais je n’ai jamais eu le courage avant mes 44 ans, confie-t-elle. À un moment donné, je me suis même imaginée écrire en anglais, alors que j’ai toujours promu la langue et la culture française comme enseignante.»
Pour donner le goût de la création littéraire à ses élèves, la Commission scolaire de langue française de l’Î.-P.-É. (CSLF) organise des ateliers d’écriture. La CSLF invite également des auteurs professionnels dans les salles de classe pour écouter les œuvres des apprentis écrivains.
«Les jeunes ont besoin de modèles qui les inspirent et leur disent qu’ils sont aussi capables de devenir des auteurs», appuie l’enseignante Julie Gagnon, qui vient de co-signer son premier album jeunesse La petite robe rouge.
Aux yeux de Carolle Arsenault, les salons du livre jouent à cet égard un rôle particulier : «Le lectorat tisse des liens avec les auteurs présents, il y a un effet boule de neige, ça donne envie aux visiteurs de se lancer dans l’écriture.»
Mais écrire un premier roman est un travail de longue haleine, qui requiert parfois des années. «Ça peut être encore plus compliqué en situation minoritaire, car nous manquons de ressources financières et humaines pour soutenir les auteurs émergents dans leur processus de création», relève Marie Cadieux.
Une fois publiés, les ouvrages doivent aussi trouver leur public. À l’Î.-P.-É., l’absence de librairies francophones ne facilite pas la tâche des éditeurs.
Se voir et s’entendre
«Ça demande de gros efforts, il faudrait une loi qui oblige les grandes enseignes à vendre plus de livres en français», plaide la présidente du conseil d’administration du Salon du livre de l’Î.-P.-É., Diane Bernier-Ouellette.
Carolle Arsenault observe par ailleurs qu’en situation minoritaire «les gens ont souvent peur de ne pas réussir à lire en français.»
«Pour leur donner envie, les livres doivent se passer dans leurs régions, ils doivent se sentir interpellés par le vocabulaire utilisé et les thématiques abordées», considère-t-elle.
Un avis que partage Diane Bernier-Ouellette : «Les livres doivent être plus connectés à nos réalités, en particulier pour les jeunes qui vivent souvent entre deux langues au sein de familles exogames.»
Donner aux adolescents le goût de la lecture est un défi de taille alors que leur temps passé sur les écrans explose.
«Il faut que le livre et la lecture viennent à eux, si on les accroche avec des séries de livres à l’école, il y a de très bonnes chances qu’ils les apportent à la maison», soutient Diane Bernier-Ouellette, qui rappelle l’importance des clubs de lecture et des bibliothèques de classe au sein des établissements scolaires.
«Tous les enfants aiment lire, il faut juste les aider à trouver quels livres ils aiment en fonction de leurs intérêts», complète Julie Gagnon.
De son côté, Marie Cadieux estime que l’école ne peut pas tout et insiste sur le rôle des familles : «C’est en voyant leurs parents lire que les enfants vont prendre le goût, il y a un facteur d’entraînement.»
Marie Cadieux (à d.), directrice des Éditions Bouton d’or Acadie, et Diane Bernier-Ouellette (à g.), présidente du conseil d’administration du Salon du livre de l’Î.-P.-É. (Photo : Marine Ernoult)
Julie Gagnon vient d’écrire son premier album jeunesse «La petite robe rouge». (Photo : Jacinthe Laforest)