Le théâtre en français a-t-il sa place à l’Île-du-Prince-Édouard? Absolument, selon Rebecca Parent, comédienne et metteuse en scène francophone, originaire de la province. Mais de nombreux obstacles persistent, au premier rang desquels figurent les difficultés de trouver des acteurs professionnels et un public.
«Il faut normaliser le théâtre en français à l’île pour qu’il s’installe durablement dans le paysage», affirme Rebecca Parent, cofondatrice de la compagnie de théâtre insulaire «Kitbag» et coordinatrice francophone de l’organisme artistique ontarien «Sheatre».
La comédienne et metteuse en scène, originaire de l’Î.-P.-É., est partie faire ses classes à Halifax et Toronto, avant de revenir dans la province en 2018.
Depuis plus de quinze ans, «tout ce que j’ai fait pour m’entraîner et me développer comme comédienne était en anglais, la plupart de mes connaissances sont du côté anglophone», raconte Rebecca Parent.
Mais l’artiste est aujourd’hui bien décidée à développer le théâtre en français dans la province. Son objectif? Que les insulaires francophones puissent aussi se reconnaître sur les planches.
«Côté francophone, c’est plus sérieux et expérimental»
«Je n’ai pas autant de pratique en matière de créations francophones, je dois améliorer mes connaissances, mais il faut bien commencer quelque part, confie-t-elle. Même si ce n’est pas parfait dès le départ, je me suis convaincue que c’est parfaitement correct.»
Au début du mois d’octobre, Rebecca Parent a fini par sauter le pas avec la production et la mise en scène de la pièce Loin du cœur, écrite dans la langue de Molière.
Ce spectacle participatif invitait les élèves des écoles de la Commission scolaire de langue française à monter sur scène pour réfléchir aux questions de consentement et de violences sexuelles.
Rebecca Parent s’est retrouvée sur scène en français, une première en vingt ans. La dernière fois, c’était à l’âge de 14 ans. À l’époque, elle était scolarisée à l’École François-Buote et jouait dans la pièce Chouchou aux grands pieds qui tournait dans les écoles maternelles de la province.
«Jusqu’à maintenant, je ne me donnais pas la permission de faire du théâtre en français, c’était vraiment un complexe personnel, comme si je ne le méritais pas, que je ne savais pas de quoi je parlais», partage-t-elle.
Rebecca Parent note de vraies différences artistiques et esthétiques en fonction de la langue, une manière distincte d’aborder la création. «Côté francophone, c’est plus sérieux et expérimental», résume-t-elle.
«À l’île, ces formes de pièces plus contemporaines ne sont pas communes, on est plus habitué à voir des spectacles musicaux», ajoute-t-elle.
«Accrocher» l’intérêt des jeunes
Rebecca Parent est également consciente des difficultés qui accompagnent la création en français dans une province majoritairement anglophone.
À ses yeux, le premier défi est de réussir à recruter des artistes professionnels de qualité, parlant français et vivant dans la région. La metteuse en scène est allée chercher des comédiens jusqu’à Vancouver pour la pièce Loin du cœur.
«Je veux créer des pièces pour les gens d’ici, donc j’aimerais mieux trouver des artistes des alentours de l’île», souligne-t-elle.
L’autre gageure, selon elle, est de trouver un public. «C’est une drôle d’équation, car les francophones sont habitués à voir des spectacles en anglais. Il faut commencer petit à petit à développer un public», considère Rebecca Parent.
À cet égard, elle espère que Loin du cœur aura réussi à «accrocher» l’intérêt des jeunes présents, avec l’idée qu’ils deviennent des amateurs de théâtre à l’âge adulte.
En revanche, Rebecca Parent estime qu’obtenir des financements pour des pièces dans la langue de la minorité peut s’avérer plus facile.
Quelles que soient les difficultés, la comédienne ne se décourage pas : «C’est absolument possible de monter des pièces en français à l’île et je pourrai toujours aller chercher de l’aide dans les communautés de théâtre à Moncton ou au Québec.»