Communauté
Par Jacinthe Laforest
Isabelle, Mathieu et Nathalie Arsenault, filles et fils de feu Robert et Rita, racontent comment ils ont fait le deuil de leurs parents en découvrant qu’ils étaient avant tout des personnes qui ont beaucoup contribué à la communauté acadienne et francophone de l’ÎPÉ. (Photo : J.L.)

Il y a bientôt cinq ans que Robert Arsenault et Rita Schyle-Arsenault ont quitté leurs trois enfants, Mathieu, Nathalie et Isabelle, à quelques mois d’intervalle.  Cinq années au cours desquelles le sentiment de perte a été remplacé par un sentiment de reconnaissance et un sens d’appartenance à la communauté renforcé.  Et l’histoire continue.  

Sur l’affiche de l’agent immobilier devant la maison, c’est écrit «vendu».  Pour parvenir à cette étape de détachement de leur maison d’enfance, Mathieu, Isabelle et Nathalie Arsenault ont traversé des montagnes russes émotionnelles. 

«On ne savait pas que ça allait aboutir à ce qu’on soit prêt à vendre la maison.  On a juste vécu les étapes comme elles se présentaient, en respectant nos besoins d’avancer plus vite ou de ralentir, et on est arrivé à ce résultat», ont expliqué les trois enfants adultes de feu Robert et Rita, décédés respectivement le 4 décembre 2019 et le 4 mars 2020.  

Lorsqu’ils ont entrepris d’explorer la maison, les trois jeunes professionnels ont découvert des pans de la vie de leurs parents qu’ils ne connaissaient pas forcément bien.  «Au début des années 90, quand notre père travaillait à mettre sur pied le Carrefour, nous avions entre 4 et 8 ans.  Nous n’étions vraiment pas conscients de l’impact que nos parents ont eu dans la communauté, notre mère autant que notre père.  Notre mère avait conservé des piles de dossiers, de procès-verbaux de réunions, en plus de plusieurs lettres personnelles et journaux intimes.  Lorsque nous avons pris connaissance de tout cela, nous avons pu voir nos parents comme des personnes, plutôt que comme nos parents», raconte Nathalie Arsenault.  

Rita Schyle était venue à l’Île-du-Prince-Édouard avec son fiancé de l’époque pour travailler un an avant de partir en Papouasie, Nouvelle-Guinée, pour faire du développement international.  «Elle n’était pas censée rester.  Le sort a fait que son fiancé se noie, alors qu’il participait à une collecte de fonds pour les Danseurs Évangéline.  Notre mère est restée, a acheté sa petite maison à Abram-Village, a rencontré notre père et nous voici.  C’est drôle comment le hasard fonctionne», résument les enfants.  

Au fur et à mesure que les trois Arsenault approfondissaient leur appréciation de leurs parents, la maison, elle, se libérait de couches de prélart en vinyle sur les planchers et des objets accumulés au fil des années.  En gros, on a fait le tri de chaque objet qui nous apportait des souvenirs d’enfance. Et on libérait les planchers pour découvrir la beauté qui s’y retrouvait dessous.

«De la manière dont j’ai vécu cette période, dit Mathieu, c’est comme si nous avions pu finir ce que nos parents avaient commencé avec la maison.  Ils l’avaient achetée en 1986 dans un état de délabrement. Ils l’ont améliorée autant qu’ils ont pu, autant la maison que le terrain.  En grandissant, on était heureux même si la maison n’était jamais complètement finie. Mais maintenant, c’est comme si on remboursait une dette envers la maison, de nous avoir protégés toutes ces années.  J’ai vraiment le sentiment qu’on a fait du bien à la maison», dit Mathieu, alors que ses sœurs hochent la tête en signe d’assentiment.  

«C’est dur de penser que d’autres personnes vont vivre ici, mais on est contents que ce soit des personnes qui jouent de la musique, qui viennent de la région Évangéline et qui vont prendre soin de la maison, qui a presque 200 ans», dit Nathalie. 

Les trois enfants de Robert et Rita ont fait l’expérience de l’international, le travail, l’aide humanitaire, le voyage, les études.  «Mémé Joséphine disait à ses enfants de voyager, de décoller de la région Évangéline.  On a un peu suivi ce conseil, on a vu, et on est revenus.  C’est ça qui est beau», dit Isabelle, qui a été la dernière à revenir vivre à l’Île.  

Après des années de travail sur les bateaux croisières, Isabelle vivait à Moncton, lorsque ses parents sont décédés.  «J’ai décidé d’écouter mon besoin de me rapprocher de mon frère et de ma sœur et je suis revenue vivre à l’Île en 2022.  J’ai vécu dans la maison.  J’ai pris soin des plantes de ma mère», dit-elle.  

Malgré les circonstances à l’origine de leurs «retrouvailles», les trois Arsenault sont heureux d’avoir eu ce temps, de s’être donné ce temps, pour laisser au deuil toute la place qu’il avait besoin de prendre avant de s’adoucir et de faire place à autre chose.  

«On n’était peut-être pas toujours d’accord sur tout à tout moment, mais je pense qu’on a appris à être à l’écoute les uns des autres, et à se faire confiance.  Ce projet nous a donné cela», disent les trois héritiers.

«Quand je parle de mon père à mes enfants, je parle de sa musique, de ce cadeau qu’il m’a fait de la musique et de ma culture aussi, que je veux transmettre.  Ma mère, je la sens avec moi dans la manière que j’interagis avec mes enfants.  Je leur chante les chansons que ma mère me chantait», dit Nathalie, avec émotion.  

Mathieu, papa d’un enfant de 18 mois, garde de ses parents leurs qualités d’engagement envers les autres.  «Ils pensaient beaucoup à la communauté, aux plus démunis, au point qu’ils s’oubliaient parfois. Pour ma part, je veux aussi aider les autres, surtout en étant le meilleur de ce que je peux être et au mieux de mes compétences, vous savez, l’idée que dans un avion, on met son masque d’abord et ensuite, on aide les autres», dit-il.  

Isabelle est aussi dans cet état d’esprit.  «Je me dis que si je suis bien et que je prends soin de moi-même, je serai là pour les autres.  J’ai fait des apprentissages dans cette maison.  Beaucoup de leçons.  Avec mon père, il y avait toujours une leçon.  Et encore plus depuis qu’il est parti», dit-elle. 

2-maison.jpgNathalie, Mathieu et Isabelle Arsenault ont effectué tout un cheminement depuis cinq ans, après la perte de leurs deux parents, Robert et Rita, à quelques mois d’intervalle.  (Photo : Famille Arsenault)

3-maison.jpgIsabelle, Nathalie et Mathieu sont trois jeunes professionnels qui ont beaucoup appris sur eux mêmes et sur leurs parents depuis cinq ans.  (Photo : Famille Arsenault)

4-maison.jpgNathalie, Mathieu et Isabelle Arsenault.  (Photo : J.L.)





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