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05 mai 2021 Par Marine Ernoult / IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne  
Selon le récent palmarès du magazine Maclean’s, Charlottetown est la ville la plus agréable à vivre au Canada à égalité avec Halifax. (Photo : Laurent Rigaux)

Selon le récent palmarès du magazine Maclean’s, Charlottetown est la communauté la plus agréable à vivre au Canada, à égalité avec Halifax.  Avec la pandémie, la ville moyenne de 40 000 habitants n’a jamais paru aussi attrayante.  La crise sanitaire amorcerait-elle un mouvement de fond vers les petites villes et les zones plus rurales?

«La situation est extrêmement pénible dans les centres des grandes villes, observe Pierre Filion, professeur à l’École d’urbanisme de l’Université de Waterloo.  Car le compromis sur lequel reposait la vie urbaine, moins d’espace dans son logement, mais un accès plus grand à des activités culturelles et à des lieux de rencontre, est brisé». 

Depuis le début de la crise sanitaire, les grandes villes sont plus que jamais mises à l’épreuve par le coronavirus.  «Ce qui pose problème, c’est l’inégalité face au logement, la trop forte concentration d’individus et de familles dans des espaces intérieurs trop petits», analyse Raphaël Fischler, doyen de la faculté d’aménagement de l’Université deMontréal.

On assiste ainsi à une fuite des grands centres urbains vers les villes moyennes et les régions plus rurales.  Les citadins, que ce soit à Toronto ou à Montréal, décident de s’installer à la campagne ou en bord de mer pour bénéficier de meilleures conditions de vie et d’un environnement plus vert.  Le désir de campagne booste le marché des maisons individuelles avec un terrain.  Les prix ont ainsi bondi de 22 % en un an à l’Île-du-Prince-Édouard.  Le récent classement du magazine, qui place Charlottetown en tête des communautés les plus agréables à vivre, va certainement renforcer cet attrait et ses conséquences sur le marché immobilier.  Du moins à court terme.

Fuite vers les campagnes, renforcée par la pandémie

«Néanmoins, la plupart des gens ne s’éloignent pas trop et déménagent dans la zone d’influence de la grande région métropolitaine, pour garder l’option d’aller en voiture au bureau au moins une fois par semaine», nuance Pierre Filion.  De son côté, Raphaël Fischler affirme que ce mouvement n’est pas nouveau et a seulement été renforcé par la pandémie.  «Pour l’instant, ce n’est pas massif», assure-t-il.

Car cette fuite est réservée à une certaine partie de la population qui peut travailler à distance.  Selon Pierre Filion, 60 % des travailleurs n’ont pas le choix et doivent se rendre sur leur lieu de travail.  «Cela crée une division, une inégalité entre les salariés, entre les travailleurs essentiels et les autres», constate-t-il.  Un avis partagé par Raphaël Fischler : «La pandémie a exacerbé les différences entre les moins nantis et les mieux nantis face à l’adversité». 

Aux yeux des deux urbanistes, les grandes villes ne deviendront pas pour autant des repoussoirs.  «Beaucoup de gens aimeront toujours vivre dans des quartiers animés, à distance de marche des magasins et des services publics de qualité», insiste Raphaël Fischler.  «Les tours d’habitation ne vont pas disparaître, ça restera attirant, car les activités culturelles vont finir par reprendre, les restaurants et bars par rouvrir», poursuit Pierre Filion. 

Faire carrière dans des endroits plus isolés

En revanche, la COVID-19 risque de modifier en profondeur le visage des métropoles.  Avec la création de voies pour vélos, le rétrécissement des chaussées, la piétonnisation des rues pour inciter les habitants à respecter la distanciation physique, le coronavirus pourrait laisser durablement son empreinte sur la physionomie des villes.  Dans les quartiers les plus démunis, la pandémie a également révélé que la qualité de l’environnement est d’une importance primordiale pour le bien-être des gens.  «Il faut que chaque quartier offre des espaces extérieurs, des parcs, les municipalités doivent faire de cet enjeu une priorité», plaide Raphaël Fischler. 

Pierre Filion pense que la crise recèle un vrai potentiel pour amorcer un changement profond.  L’urbaniste est persuadé qu’une nouvelle forme de ville peut émerger, «plus autosuffisante, plus flexible, plus électrique, plus connectée, avec plus de services publics».  D’après lui, un nouvel équilibre territorial pourrait aussi voir le jour.  «De nouvelles parties du territoire vont se développer, il sera désormais possible de faire carrière en vivant dans des endroits plus isolés, de nouveaux milieux culturels émergeront dans des communautés plus rurales», s’enthousiasme-t-il. 

Raphaël Fischler se montre lui plus prudent.  «La transformation de l’espace urbain restera relativement modeste, avance-t-il.  Les impacts pourraient être plus importants si on se met à construire des autoroutes, des hôpitaux et d’autres équipements qui rendent les lointaines périphéries et les régions plus accessibles et attrayantes».  Tout dépendra donc des politiques publiques d’aménagement mises en place dans les métropoles comme Charlottetown.  La capitale provinciale devra également se transformer pour garder la première place du classement. 

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