«Faire des spectacles a toujours été mon gagne-pain, je ne vais pas changer de métier à 66 ans», lance Hélène Bergeron, membre du groupe Gadelle. (Photo : Gracieuseté)
À l’Île-du-Prince-Édouard, les musiciens, privés de scène pendant des mois, misent sur les concerts en ligne pour maintenir le lien avec le public. Malgré la crise sanitaire, ils restent créatifs, des projets plein la tête.
«Ça me manque tellement de jouer avec Gadelle pour un bon gros public», confie Hélène Bergeron. Depuis le début de la pandémie, la musicienne de l’Î-.P.-É. n’est pas montée une seule fois sur scène. En onze mois, celle qui a l’habitude de se produire l’été au Village musical acadien a seulement participé à deux enregistrements vidéo avec le groupe Gadelle. Des concerts mis en ligne sur Internet que la multi-instrumentiste «n’aime pas trop». «C’est difficile de créer de l’énergie avec rien, excepté une caméra», témoigne la pianiste, également violoncelliste et guitariste.
Un sentiment partagé par Patricia Richard. «On a fait quelques spectacles en ligne, mais ce n’est pas la même sensation. Retrouver des spectateurs, ça me nourrit, ma créativité est stimulée», partage la chanteuse qui forme le duo Sirène et Matelot avec Lennie Gallant. L’auteure-compositrice-interprète a eu la chance de se produire deux fois en public à l’Î-.P.-É en 2020. «C’étaient des moments magiques, voir tous ces visages, ressentir le mélange d’émotions, c’est pour ça que je fais ce métier», dit-elle un sourire dans la voix.
Nouvelles compétences
Mais avec la crise sanitaire, Sirène et Matelot a vu plusieurs de ses tournées annulées. «Ce n’est pas évident, elles sont reportées on ne sait pas trop quand. La vie d’artiste me manque», glisse Patricia Richard.
Michel Lalonde a lui aussi perdu l’habitude de jouer en public. En octobre dernier, près d’un an après sa dernière apparition sur scène, le chanteur franco-ontarien a enfin renoué avec une salle pleine au Centre Belle-Alliance de Summerside.
«Au début, c’était étrange, puis c’est redevenu trépidant après ma première chanson», se souvient l’auteur-compositeur-interprète, installé dans la province. Privés de salles, les artistes de l’Î-.P.-É. tentent de se réinventer, loin de leurs spectateurs. Hélène Bergeron profite ainsi de cette période pour «affiner son oreille créative». Elle apprend de nouveaux morceaux et n’a jamais écouté autant de musique qu’en ce moment. «Avec mes frères, on se ramasse au moins une fois par semaine pour improviser des tounes à la maison», ajoute la pianiste.
Patricia Richard, elle, n’a «pas le goût» de jouer tous les jours, et encore moins de composer. «Mon cerveau est tellement occupé à trouver de nouvelles manières de survivre», raconte l’artiste qui se contente d’écouter son fils au piano. «Je ferme les yeux et ça me fait du bien, ça me touche beaucoup», poursuit-elle. Patricia Richard a préféré mettre à profit son temps libre pour se former à la vidéo et au montage. En mars, elle a commencé avec un téléphone et un micro, et maintenant elle filme à l’aide de trois caméras les concerts d’amis musiciens.
Journées «en dents de scie»
De son côté, Michel Lalonde évoque des journées «en dents de scie». Il oscille entre «révélations créatives» et «inertie». «Certains jours, je travaille sur des projets en veilleuse, des choses dormantes se débloquent et, à d’autres moments, j’ai le cafard, révèle le poète. J’ai beau avoir plus de temps et moins de distraction, la motivation est parfois dure à trouver.» Avant de lâcher : «On est des humains, pas des machines.»
La morosité ambiante ne l’a pas empêché d’écrire de nouveaux textes et de se mettre au ukulélé. Jamais à court de projets, le chanteur, qui a connu des jours de gloire avec le groupe Garolou, réalise également un nouvel album avec l’ensemble musical fransaskois La raquette à Claquettes. L’opus, créé à distance, devrait sortir au printemps prochain. Et l’été dernier, l’homme de radio a produit une série de capsules vidéo sur la musique traditionnelle en collaboration avec Radio-Canada.
Pour garder un lien avec ses fans, Michel Lalonde s’est finalement lancé dans les spectacles sur le Web. Un concert préenregistré avec ses musiciens, Keelin Wedge et Rémi Arsenault, sera diffusé sur demande du 12 au 15 février sur la plateforme payante Le point de vente. «Il y a du bon là-dedans», reconnaît le chanteur qui apprécie pouvoir peaufiner le son et l’image en postproduction. «Mais c’est difficile devant une salle vide, il faut faire des efforts pour imaginer des gens devant soi», observe le Franco-Ontarien, habitué à «carburer» à l’énergie du public.
Espoir pour l’été prochain
Les musiciens sont persuadés que les évènements en ligne ne disparaîtront pas avec la fin de la pandémie. Ils y voient un outil de promotion en plus des tournées. «C’est positif, c’est une nouvelle manière de rejoindre les gens», considère Patricia Richard. «C’est une chance de créer un document dans lequel on peut se livrer un peu plus, ouvrir la porte sur d’autres aspects de notre vie», complète Michel Lalonde.
Quelles que soient leurs difficultés financières, aucun des artistes interrogés n’a songé à abandonner sa carrière. «Faire des spectacles a toujours été mon gagne-pain, je ne vais pas changer à 66 ans», lance Hélène Bergeron qui assure ne pas trop souffrir économiquement. Patricia Richard, actuellement agente de développement au Conseil scolaire-communautaire Évangéline, s’estime également chanceuse.
Avec Lennie Gallant, ils ont des projets plein la tête et prévoient la sortie d’un nouvel album d’ici un an. «La flamme de la musique est toujours vivante en moi», affirme la chanteuse. Même son de cloche du côté de Michel Lalonde. La «grosse tournée» qu’il espérait pour son dernier album Comme un engin n’a pas pu avoir lieu mais, à 73 ans, le vieux loup de mer de la musique veut continuer à faire ce qu’il aime. Avec, somme toute, l’espoir de retrouver le public l’été prochain.