Actualités
18 avril 2022 Par Jacinthe Laforest / IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
En 2014, il n’était pas rare de voir les bateaux revenir au quai de Cap-Egmont remplis de harengs.  Les récentes années, les prises étaient moins bonnes, en raison du nombre plus limité des filets et des quotas réduits, mais aussi parce que le hareng ne répondait pas à l’appel en aussi grand nombre.  Les fonds marins autour de Cap-Egmont sont rocheux et inégaux ce qui en fait un environnement de choix pour les oeufs et les tout petits harengs.  (Photo : Archives de LVA)

Le 30 mars 2022, le ministère de Pêches et Océans (MPO) a annoncé la fermeture de la pêche commerciale du hareng et du maquereau bleu afin de reconstituer les principaux stocks de poissons fourragers pour une pêche plus saine sur la côte Est.  Yvon Gallant de Cap-Egmont, qui se concentre sur cette pêche depuis 15 ans, affirme que la fermeture n’aidera en rien la ressource.  Selon lui, les pêcheurs récoltent moins de 2 % du poisson disponible.  Les phoques, les requins et les autres prédateurs en prélèvent plus de 60 %.  «Le gouvernement ne veut pas parler de ça».

Comme d’autres pêcheurs, qui connaissent la mer et le poisson, Yvon Gallant n’est pas convaincu que la décision du ministère de Pêches et Océans (MPO) est basée sur les bonnes informations.  

«Je ne dis pas qu’il y a beaucoup de harengs.  Je vois ce qui se passe, mais ce n’est pas la faute des pêcheurs.  Nous récoltons seulement une petite partie de la ressource.  Le gouvernement ferme la pêche pour protéger la ressource et il ne fait rien pour contrôler la population des phoques et des autres prédateurs.  Ça, ça ferait une grosse différence.  Pas le petit 1,7 % que nous autres on pêche», dit Yvon Gallant.

La Coalition des organisations de pêche de l’Atlantique et du Québec s’interroge sur la rapidité de la décision gouvernementale et sur le manque de transparence de la science.

«Comment passer d’une situation de non-fermeture à une situation de fermeture sans consulter les pêcheurs commerciaux», a déclaré Martin Mallet, directeur général de l’Union des pêcheurs des Maritimes. «L’évaluation des stocks de 2021 a démontré que le quota de 4 000 tonnes permettrait de rebâtir la ressource. Cette décision avait été prise en collaboration avec l’industrie, et nous devions réviser la situation après la prochaine évaluation des stocks en 2023. Sans consultation ni même préavis d’un problème potentiel, le MPO vient de fermer la porte à la pêche.»

Yvon Gallant se demande quant à lui quel est le véritable objectif du ministère de Pêches et Océans : sauvegarder la ressource ou trouver des marchés pour des appâts à homard fabriqués en usine, avec des restes de poisson.  

Le hareng, un appât de choix pour le homard

Traditionnellement, la pêche commerciale au hareng du printemps commence quelques jours avant l’ouverture de la saison de pêche au homard, dans la zone 24 (côte nord de l’Île).  Le hareng constitue une viande de choix pour appâter les casiers à homard, et une bonne partie des débarquements est vendue pour la pêche au homard.  

«Depuis environ 15 ans, MPO a graduellement réduit le nombre de filets qui étaient alloués pour le hareng.  De 32, on a baissé à 23 et les dernières années, c’était seulement 10 filets.  L’année passée, je pense que j’étais le seul qui a pris la peine de sortir en mer.  Les autres trouvaient que ça n’en valait pas la peine.  Le quota, qui a aussi baissé, a été pris en trois ou quatre jours puis la pêche a fermé.»

En parallèle avec la pêche commerciale, MPO a aussi accordé aux détenteurs de permis de pêche au homard le droit de pêcher le hareng pour leurs propres besoins, avec une limite de trois filets.  Yvon Gallant est formel : il y a eu des abus dans ce département et MPO a été très occupé à contrôler cette pêche. 

Pour le président de l’Association des pêcheurs de l’ÎPÉ, Bobby Jenkins, cette fermeture unilatérale de la pêche commerciale du hareng de printemps et du maquereau aura un impact négatif majeur sur la pêche puisque ces poissons sont une source importante d’appâts pour le homard et le crabe des neiges. «Cette décision éliminera les appâts du système et entraînera des pressions sur les autres pêcheries et des prix des appâts fortement gonflés», prédit Bobby Jenkins par communiqué.

Soucieux de la ressource

Yvon Gallant possédait autrefois un permis de pêche au homard.  Lorsque la ressource a donné des signes d’épuisement, il y a environ 15 ans, il a vendu son permis au gouvernement, retirant un bateau de la pêche au homard.  Chaque permis de pêche ainsi racheté par le gouvernement a réduit d’autant la pression sur la ressource et à présent, le homard est de retour.  

«Par chance, MPO n’a jamais fermé la pêche au homard.  J’ai bien peur qu’avec le hareng, même s’ils disent que ce sera réévalué, ça reste fermé pour de bon.  Ilsvont acheter des produits d’usine et importer des poissons de loin, par des moyens coûteux et polluants.  Ça n’a aucun bon sens.»

Une fois son permis de pêche au homard vendu, Yvon s’est concentré sur le hareng au printemps et à l’automne, ainsi que le maquereau, qui fait aussi un excellent appât.  «Ce que je vais faire?  Je vais m’en aller quêter dans les rues de Summerside… Plus sérieusement, je suis à un âge où je peux prendre mon temps.  J’ai des petits projets.  Ce qui m’inquiète c’est qu’une fois la pêche fermée, ça sera difficile d’évaluer les stocks.  Les gens de MPO, ils vont quasiment jamais sur l’eau.  Je ne sais pas comment ils vont faire pour avoir les bonnes informations.  Comme je dis, j’ai vu des années où on remplissait nos bateaux de hareng, et des années, plus récemment, où on en a beaucoup moins.  Je sais que la ressource a diminué, mais ce n’est pas à cause des pêcheurs de hareng, ni de maquereaux», affirme Yvon Gallant.

Dans le cas du maquereau, justement, la réalité est que ce stock est également partagé avec les États-Unis.  «Il n’y a pas de plan, les Américains continuent de pêcher et cette décision met notre part de cette pêche en péril», a déclaré Gordon Beaton, président du Nova Scotia Fleet Planning Board par communiqué.

La Coalition des organisations de pêche de l’Atlantique et du Québec demande au ministre fédéral des Pêches de rencontrer immédiatement les organisations de pêche commerciale, de partager de manière transparente la science derrière cette décision radicale et d’envisager un report de la fermeture afin que la pêche puisse être gérée de manière ordonnée et respectueuse de la durabilité de la ressource.  

Abonnez-vous à La Voix acadienne pour recevoir votre copie électronique ou la version papier

Actualités