Quatre membres d’une famille ont été tués et un enfant grièvement blessé, après avoir été volontairement percutés par un pick-up, dimanche 6 juin, à London en Ontario. Suite à cette attaque islamophobe, la communauté musulmane de l’Île-du-Prince-Édouard est inquiète.
«Je suis choqué et horrifié», confie Zain Esseghaier. Le membre de la Société musulmane de l’Î.-P.-É. réagit à l’attaque anti-musulmane perpétrée dimanche 6 juin à London, une ville du sud de l’Ontario. Trois générations de la famille Afzaal, d’origine pakistanaise, sont mortes après avoir été volontairement percutées par un pick-up : un couple de quadragénaires, leur fille de 15 ans et la grand-mère de 74 ans. Un garçon de 9 ans, grièvement blessé, est toujours hospitalisé.
«Je suis à la fois effrayée, nerveuse et en colère, j’ai pleuré plusieurs fois», poursuit Sobia Ali-Faisal, également membre de la communauté musulmane de la province. La nouvelle ne l’a pourtant pas surprise. «Je sais à quel point il y a de la haine à notre encontre, la façon dont les gens parlent de nous, les regards de dégoût, les insultes», témoigne la présidente de BIPOC USHR, organisme de défense des droits de la communauté BIPOC à l’Île.
Le drame de London «n’est pas un acte isolé»
Et de rappeler les précédents actes anti-musulmans commis ces dernières années au pays, notamment l’attentat à la Grande mosquée de Québec en 2017 qui avait fait six victimes ou l’attaque au couteau devant la mosquée de Toronto en 2020. «Ce drame à London n’est pas un acte isolé, il n’y a rien de nouveau», abonde Zain Esseghaier.
Le Canada a pris conscience que «l’accident» survenu dimanche relevait bien d’un crime islamophobe quand, le lundi 7 juin, le chef de la police de London a affirmé publiquement : «Il y a des preuves que cet acte a été planifié, prémédité et motivé par la haine. Nous croyons que les victimes ont été ciblées en raison de leur foi musulmane.» Le meurtrier présumé, Nathaniel Veltman, 20 ans, résident de London, aurait lui-même appelé le numéro des forces de l’ordre après avoir fauché délibérément la famille Afzaal.
Il a été interpellé par la police une trentaine de minutes après le drame et inculpé de «meurtres avec préméditation et tentative de meurtre». L’homme n’est pas connu des services de police et, à ce jour, rien ne permet d’affirmer qu’il était en lien avec «une organisation haineuse ou raciste», ont déclaré les enquêteurs. La police n’exclut cependant pas de porter, à terme, des accusations de «terrorisme» contre le meurtrier présumé.
L’islamophobie existe à l’Île
Plusieurs instances communautaires musulmanes, comme le Conseil national des musulmans canadiens, ont affirmé qu’il «s’agissait d’une attaque terroriste sur le sol canadien, devant être traitée comme telle». De son côté, le Premier ministre Justin Trudeau a déclaré devant le Parlement que «ce meurtre n’était pas un accident» : «Il s’agit d’un attentat terroriste, motivé par la haine, au cœur d’une de nos communautés».
À l’Î.-P.-É., les membres de la communauté musulmane se sentent pour l’instant relativement à l’abri. «Je ne me sens pas en insécurité, car je ne porte pas le hidjab. Mais si j’étais visiblement musulmane, je serais plus anxieuse, à regarder tout le temps derrière mon épaule», partage Sobia Ali-Faisal. Zain Esseghaier, lui, prévient : «Tout peut arriver, ça prend un individu solitaire qui passe à l’acte et commet l’irréparable».
Car ils en sont tous les deux conscients, l’islamophobie existe bel et bien dans la province. Zain Esseghaier évoque notamment les incidents survenus pendant la construction de la mosquée Masjid Dar As-Salam à Charlottetown : la tête de cochon ensanglantée et le camion brûlé retrouvés sur le site du chantier, mais aussi le bidon d’essence accompagné d’une note haineuse. «Et tous les incidents ne sont pas rapportés», observe-t-il.
Bannir les groupes d’extrême-droite
Sobia Ali-Faisal et Zain Esseghaier invitent plus que jamais les Insulaires à se mobiliser contre le fléau du racisme et demandent l’adoption de mesures concrètes pour bannir les groupes extrémistes et combattre la haine véhiculée sur Internet. «On reçoit beaucoup de soutien des politiques, des Insulaires de toutes religions confondues, c’est une bonne chose, ça montre un front commun contre les discriminations, mais maintenant il est temps de passer à l’action», plaide Zain Esseghaier.
Sobia Ali-Faisal appelle également à combattre les racines profondes de l’islamophobie. «Tous les Canadiens doivent travailler ensemble pour démolir le suprémaciste blanc à l’origine de cette haine, il ne faut pas oublier que le Canada est aussi l’endroit où 215 enfants autochtones ont été retrouvés dans une fosse commune (NDLR : Des ossements d’enfants ont été découverts le 28 mai à Kamloops en Colombie-Britannique sur les lieux d’un ancien pensionnat autochtone), souligne-t-elle. Le pays où a été perpétré un génocide affronte aujourd’hui le racisme et la violence notamment dirigée contre les musulmans.»
L’autre clé pour les interlocuteurs interrogés, c’est l’éducation des plus jeunes à l’école, mais aussi la sensibilisation des adultes, y compris des politiques. «Les gens doivent comprendre ce qu’est l’islamophobie pour mieux la reconnaître et la combattre quand ils y sont confrontés», explique Sobia Ali-Faisal. En attendant, mercredi 9 juin, une veillée d’hommage a été organisée au parc Victoria à Charlottetown en présence notamment du Premier ministre Dennis King.
Le mercredi 9 juin à midi, une veillée d’hommage a été organisée au parc Victoria à Charlottetown. (Photo : Julien Lecacheur)
Sobia Ali-Faisa est présidente de BIPOC USHR à l’Île. (Photo : Laurent Rigaux)
Le premier ministre Dennis King était présent à la veillée hommage. (Photo : Julien Lecacheur)