Comment, en quelques phrases, rendre justice au courage de toutes ces femmes qui arrivent à se libérer de l’emprise violente qu’un conjoint exerce sur elle. Dans le cadre de son projet Féminin PluriElles, l’organisme Actions Femmes a publié récemment un article percutant, écrit par Marine Ernoult, donnant la parole à des survivantes. Deux d’entre elles ont accepté de témoigner en public lors d’un panel animé par Marine Ernoult, le samedi 15 mai au Village musical acadien, à Abram-Village, devant un public empathique et respectueux.
«C’est tellement difficile de parler de ces sujets. Parler à une personne c’est une chose, mais parler à un groupe, en sachant que c’est enregistré, c’est énervant. Mais je le fais parce que je pense que c’est important».
C’est avec ces quelques mots que Donna Pitre Millar ouvre son témoignage. Son mari faisait partie d’une communauté religieuse où les hommes étaient les chefs incontestés de la famille et où les femmes devaient être soumises. «En privé et en public. C’était encore plus nécessaire en public parce que l’homme devait paraître bien devant tout le monde. Si la femme faisait ou disait quelque chose qu’il n’aimait pas, l’homme pouvait la discipliner. Pour moi, c’était surtout de la violence psychologique, mais il me menaçait de me faire passer à travers le mur ou pire. Il ne l’a pas fait, mais la menace physique était là».
Il a fallu plusieurs années à Donna pour trouver la force de se libérer. Cela a commencé par se trouver un emploi. Dans la religion de son mari, elle avait «le droit» de se trouver un emploi, à partir du moment où les enfants entraient à l’école. «J’ai eu trois filles. Lorsque ma plus jeune est entrée à l’école, j’ai commencé à me chercher un emploi. J’ai trouvé un job dans un kiosque de café, dans un centre commercial. Mon mari était enragé parce que j’avais ouvert mon propre compte à la banque. Il est venu à mon travail, et il a demandé à mon patron de lui donner mon chèque de paie. Et mon patron le lui a donné. J’ai fini par perdre cet emploi. J’en ai trouvé un autre, dans un restaurant. Et là, j’ai demandé : “Si mon mari vous demande de lui donner mon chèque, allez-vous le lui donner?”. Il m’a assuré que non. Alors j’ai pris cet emploi».
Vingt-quatre ans après son divorce, elle vit encore des journées «horribles», mais de moins en moins. «Je ne serai peut-être jamais complètement guérie. Je pense qu’une étape importante sera de me réconcilier avec mes deux plus jeunes filles. Jusqu’à présent, elles ne veulent pas entendre mon histoire. J’ai pu cependant m’ouvrir à mon aînée et ça me réjouit et me réconforte».
Benedict Watchi vient tout juste de sortir d’une relation violente. Mariée dans son pays à 14 ans, mère de deux filles, maintenant adultes, et veuve depuis plusieurs années, elle a rencontré cet homme qui était charmant. «Il était comme un ange. Et puis, il a changé. J’ai essayé de comprendre ce que j’avais fait pour que son comportement change à ce point. Je pensais que c’était de ma faute. J’ai tout essayé pour lui plaire et pour qu’il redevienne comme il était. Je me suis donnée, abandonnée et il a détruit une partie de moi. Il m’a rendue méfiante envers tous les hommes. En voiture, je n’avais pas le droit de regarder à gauche ou à droite. Il était devenu jaloux et possessif. Après un an et demi, j’ai compris que si je voulais survivre, il fallait que je me sauve. Après notre séparation, il a continué à me harceler. Il venait cogner à ma porte des heures de temps. J’avais trop honte pour parler à des personnes. Je me jugeais. Je croyais que je faisais quelque chose de mal, mais en même temps, je ne voyais pas quoi. Je faisais tout ce que, à mes yeux, et selon ma foi, une femme devait faire. Vous savez, les Africains, on est comme ça. On tente de trouver des solutions, on donne des chances. On est patient. Mais au bout d’un temps, j’ai compris que ça ne changerait pas et j’ai dû appeler la police».
Deux spécialistes prennent la parole
Rina Arseneault, du Nouveau-Brunswick, est depuis 40 ans engagée dans les ef-forts de prévention de la violence familiale. Par visioconférence, elle a expliqué qu’elle a écouté et accompagné de très nombreuses femmes aux prises avec des conjoints violents. «Leurs voix sont encore dans ma tête».
À tout ce qui avait été dit auparavant, elle a ajouté que parfois, sans le vouloir, les amis, et les autres femmes peuvent empirer le sentiment de honte de la femme prise dans une relation malsaine et empoisonnée. «Quand vous dites par exemple que ça ne vous arriverait jamais, que vous ne laisseriez jamais un homme lever la main sur vous, c’est comme si vous accusiez les femmes de se laisser faire».
Elle a également suggéré que des «amies» pouvaient s’impatienter devant ce qu’elles perçoivent comme le manque de courage de la victime. «Et alors, les “amies” disent “Quand tu décideras de faire quelque chose, je serai là”.» En apparence cette offre d’aide est bien gentille, mais en fait, elle a pour effet de renforcer le sentiment d’impuissance de la victime, et de resserrer l’étau de l’isolement déjà bien installé par l’homme violent.
Et la pandémie dans tout ça?
«Qu’on soit clair. La pandémie de COVID-19 n’est pas la cause de la violence familiale, ni l’alcool, ni la drogue», confirme Jane Ledwell, directrice du Conseil consultatif sur la situation de la femme de l’Île-du-Prince-Édouard et membre de l’observatoire national des féminicides.
«On ne peut nier que la pandémie a créé un climat propice à la violence. Le télétravail, les confinements, l’absence des services de garde, le stress qui s’accumule peuvent empirer les situations. Je veux dire aux femmes qui sont ici et à toutes les autres : Je vous crois, ce n’est pas votre faute. Et je veux aussi dire que ça prend du courage pour parler, mais aussi, pour simplement survivre. Ce n’est pas parce que vous ne prenez pas la parole en public que vous n’avez pas de courage. Lorsque les femmes prennent la parole, elles disent aux autres femmes qu’elles ne sont pas seules. Les survivantes sont les expertes de leur propre expérience. Elles savent ce dont elles auraient eu besoin comme aide, elles savent ce dont elles ont besoin. Elles sont nos enseignantes et nos leaders dans notre travail de prévention de la violence familiale à l’Île», dit Jane Ledwell.
Benedict Watchi vit à l’Île-du-Prince-Édouard depuis plusieurs années déjà. Après sa relation violente, elle craint maintenant pour ses filles.
Marine Ernoult (à gauche), journaliste indépendante, a animé le panel. Elle est l’auteure de la série d’articles du projet Féminin PluriElles, pour le compte d’Actions Femmes incluant le plus récent qui présente des témoignages de survivantes. On peut lire cet article en se rendant sur le site Web d’Actions Femmes (www.afipe.ca/feminin-plurielles ou en consultant le https://spark.adobe.com/page/ZpT8mhUvburJ3/
Rina Arseneault rappelle que même si une femme n’a jamais parlé de sa situation, les membres de sa familles ont des doutes dans 75 % des cas et les amis dans plus de 50 % des cas. Il faut que tout le monde s’éduque aux façons d’aider. (Photo : www.facebook.com/rina.arseneault)
Jane Ledwell rappelle qu’il y a eu au Canada dans la dernière année 160 meurtres de femmes, par des conjoints ou connaissances, des meurtres qu’on appelle féminicide. Par chance, il n’y a pas eu de féminicides récents à l’Île-du-Prince-Édouard.
Yvonne Pitre, la mère de Donna, savait que sa fille vivait des difficultés mais ne savait pas à quel point c’était grave. «Je m’étais promis de ne pas parler mais j’ai décidé de dire quelques mots». À la fin de la session, elle a confié à quel point elle était fière de sa fille.
Sœur Norma Gallant, dans le public, a mentionné que dans son travail d’intervention sur des cas de violence, il y a de plus en plus de conjoints de même sexe, une réalité à ne pas négliger.