Le 10 novembre 2020
- Karine Fleury
La clinique de santé reproductive de l’hôpital du comté de Prince offre les avortements à l’Île-du-Prince-Édouard depuis 2017. (Photo : Karine Fleury)
Le 30 octobre dernier, l’Association canadienne des libertés civiles a annoncé qu’elle intentait une poursuite judiciaire contre le gouvernement progressiste-conservateur de Blaine Higgs, au sujet de l’avortement. Une poursuite qui n’a surpris personne, le manque d’accès à l’avortement au Nouveau-Brunswick ayant été dénoncé depuis plusieurs années.
Depuis 1988, l’avortement est légal au Canada. Néanmoins, chacune des provinces est responsable de gérer et de financer les interruptions de grossesse. Ainsi, pour tout le territoire du Nouveau-Brunswick, trois hôpitaux fournissent ce service, soit l’Hôpital régional Chaleur à Bathurst, le Centre hospitalier universitaire Dr-Georges-L-Dumont à Moncton et l’Hôpital de Moncton.
Les procédures d’interruptions de grossesse y sont financées par le gouvernement de Blaine Higgs. Cependant, si la procédure a lieu dans une clinique privée, le coût de la procédure chirurgicale n’est pas couvert par le gouvernement, il est aux frais de la patiente. On parle alors d’un coût allant de 700 à 850 $.
C’était le cas à la clinique 554 à Frédéricton, la seule clinique qui offrait des procédures à l’extérieur des hôpitaux, soit les avortements chirurgicaux, et l’option de la pilule abortive, les deux options offertes aux femmes du Nouveau-Brunswick.
Le 23 septembre dernier, après environ cinq ans d’existence, la clinique 554, dirigée par le Dr Adrian Edga dans ce qui était jusqu’en 2014 la clinique du Dr Morgentaler, a annoncé la fermeture de ses portes, par manque de fonds.
Désormais, les femmes désirant un avortement chirurgical n’auront plus le choix de se rendre à Bathurst ou Moncton. Lors de la pandémie à la COVID-19, la clinique a offert des avortements chirurgicaux «pro bono», à des femmes dans le besoin. Malheureusement, à long terme, il n’était plus financièrement possible de garder le cap. La fermeture de cette clinique a été vécue durement par la communauté, notamment parce que la clinique offrait aussi des soins de santé pour les personnes transsexuelles. Désormais, ces personnes n’auront plus que la clinique Salvus à Moncton vers où se tourner.
À l’automne 2019, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, avait rappelé au gouvernement de Blaine Higgs que la province avait l’obligation de financer les interruptions de grossesse en dehors des hôpitaux. À ce jour, aucune nouvelle mesure n’a été prise par le premier ministre du Nouveau-Brunswick.
Ailleurs dans les provinces atlantiques
Si la situation au Nouveau-Brunswick n’est pas rose, elle n’est pas pour autant meilleure dans les autres provinces atlantiques. En Nouvelle-Écosse, aucune clinique ne peut offrir le service d’avortement en dehors des hôpitaux, ce qui fait que seuls quatre hôpitaux pour l’ensemble du territoire offrent ce service. À Terre-Neuve-et-Labrador, deux hôpitaux et une clinique l’offrent. À l’Île-du-Prince-Édouard, c’est seulement depuis 2017 que la clinique de santé reproductive à l’hôpital du comté de Prince, à Summerside, offre le service d’avortement chirurgical.
La directrice générale d’Actions Femmes Î.-P.-É., Johanna Venturini, a expliqué que le service est techniquement offert à l’Île, mais qu’il n’est pas accessible pour toutes. «Il n’y a qu’une clinique à Summerside et il n’y a pas de transport en commun pour s’y rendre. Donc les femmes qui sont à Charlottetown, Souris ou ailleurs, doivent demander à quelqu’un de les accompagner. Si tu es une jeune et que tu ne veux pas que ça se sache dans ta communauté, comment fais-tu?», s’est-elle interrogée. De plus, le service en français n’est pas assuré. «Il y a un service d’interprétation, si on le veut. À Summerside, je crois qu’il y a deux infirmières bilingues, mais si elles ne sont pas de service, alors tu n’as pas l’information [en français]».
En comparaison avec d’autres provinces du Canada, les provinces atlantiques font pâle figure. Mais pourquoi? «C’est une question vraiment sensible, surtout dans la communauté francophone, comme il y a des générations qui ont encore des croyances très religieuses. On sait que c’est surtout ça le poids du stigma autour de cette question. Dans certaines régions de l’ouest de l’Île, on voit des panneaux de style “l’avortement est un péché mortel”. Donc c’est encore très présent la religion, ici. C’est probablement ça la différence avec le Québec ou même la France : là-bas, c’est laïc», a indiqué Johanna Venturini.
Mais en plus des croyances religieuses de la population, il y a aussi le tabou entourant l’avortement, qui persiste malgré les années. «Dans les petites communautés, on ne veut pas que ça se sache. […] En plus du manque d’accessibilité, il y a plusieurs autres facteurs qui font en sorte que c’est plus difficile dans les provinces atlantiques».
Pour illustrer ce fait, alors qu’Actions Femmes existe depuis des dizaines d’années, sous différents noms, ce n’est qu’en juin dernier que pour la première fois depuis la création de l’organisme, Actions Femmes Î.-P.-É. a rejoint le réseau d’accès à l’avortement à l’Île-du-Prince-Édouard, PEI Abortion Rights. Un premier pas pour un accès à l’avortement plus équitable.
Johanna Venturini est la directrice générale d’Actions Femmes Î.-P-.É. (Photo : Archives de La Voix acadienne)