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15 avril 2024 Par Chantallya Louis – Francopresse
Le gouvernement fédéral dévoilera son budget le 16 avril prochain. Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

FRANCOPRESSE – Les nombreuses annonces du gouvernement fédéral à quelques semaines du dévoilement de son budget, prévu le 16 avril, démontrent une nouvelle stratégie politique de la part des libéraux, estiment des experts.

«Les budgets ont toujours une dimension politique, évidemment, mais là, cette fois-ci, elle est encore plus accentuée que par le passé», soutient Fédéric Boily, professeur en science politique au Campus Saint-Jean, en Alberta.

Bien qu’il soit courant, dans la politique canadienne, de procéder à des annonces quelques jours avant la présentation du budget, «le faire ouvertement avec une stratégie planifiée, avec autant de ressources et en étant aussi transparent […] ça, c’est du jamais vu», renchérit Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et aussi chroniqueuse pour Francopresse.

Reprendre le contrôle du message

Selon Fédéric Boily, le gouvernement de Justin Trudeau veut montrer qu’il reprend le contrôle du message, contrairement à l’année dernière.

«On avait l’impression que le gouvernement fédéral était littéralement en état d’hibernation, qu’il était à la remorque des évènements et qu’on ne semblait pas vouloir agir», dit-il en entrevue à Francopresse.

Même son de cloche du côté de Geneviève Tellier. Depuis plusieurs mois déjà, le Parti conservateur prend une importante avance dans les sondages, alors que «les libéraux continuent d’être à la traîne et n’arrivent pas à regagner du terrain et donc il faut que quelque chose change».

Pour la professeure, la stratégie du gouvernement fonctionne. «On parle des annonces prébudgétaires, on parle de Justin Trudeau [mais] on ne parle pas de Pierre Poilievre», lance-t-elle, rappelant que la Chambre n’a pas siégé pendant deux semaines de la fin mars au début avril.

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Pour le politologue Frédéric Boily, il sera aussi important de surveiller les mesures en lien avec l’augmentation de la productivité du pays. Photo : Courtoisie

«Est-ce que ça va continuer à marcher?»

«Maintenant, est-ce que ça va continuer à marcher?», se demande Geneviève Tellier.

Selon elle, les Canadiens sont préoccupés par le coût de la vie et les mesures annoncées par Ottawa ne permettent pas de déterminer s’ils se sentiront plus en confiance avec le gouvernement.

«Demain, quand les gens vont aller faire leur épicerie ou vont renouveler leur hypothèque, est-ce qu’ils vont se sentir en meilleure confiance et trouver que le gouvernement les aide?», ajoute-t-elle.

La professeure soutient par ailleurs que les citoyens pourraient aussi se sentir manipulés par le gouvernement, qui semble désespéré à rester au pouvoir. Certaines personnes pourraient ainsi voir d’un mauvais œil ces nouvelles mesures.

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Selon la professeure Geneviève Tellier, une grande quantité d’annonces fédérales à quelques semaines d’un budget n’est pas chose courante sur la scène politique canadienne. Photo : Martin Roy – Le Droit

Relations tendues avec les provinces

Pour Frédéric Boily, la nouvelle stratégie politique de Justin Trudeau permettrait au gouvernement libéral, minoritaire, de prendre l’avantage sur l’opposition. Cependant, elle attire bien des critiques du côté des gouvernements provinciaux. Plusieurs premiers ministres jugent qu’Ottawa empiète sur leurs compétences provinciales.

Dans cette optique, Frédéric Boily croit que le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, pourrait revenir à la charge avec un discours qui soutient un fédéralisme d’ouverture, comme le faisait l’ancien premier ministre du Canada, Stephen Harper, pour montrer que le Parti conservateur respecte les champs de compétence des provinces.

«On peut voir aussi, auprès de l’électorat de certaines provinces, un discours qui va appeler directement à voter pour les conservateurs [ou] voir un discours qui est moins critique à leur égard», précise le spécialiste.

Selon Geneviève Tellier, «vouloir trop intervenir dans les champs de compétences provinciales» entraîne d’autres difficultés politiques. Les annonces obligeraient le gouvernement à négocier avec les dix provinces, ce qui crée des mécontents et la probabilité de voir se créer un front commun.

De plus, les citoyens pourraient encore être plus critiques envers le gouvernement fédéral. Dans l’éventualité où les choses ne vont pas bien, que ce soit en éducation, en santé ou un autre domaine, «les gens vont dire : “bon ben tu as la capacité de le faire puis tu ne le fais pas, ou tu le fais mal, donc c’est de ta faute”», remarque-t-elle.

La professeure estime tout de même que le gouvernement libéral est conscient de ces obstacles et qu’il est prêt à les assumer.

À surveiller dans le budget

Il reste tout de même plusieurs éléments à surveiller lors du dépôt du budget, tel que l’équilibre budgétaire. 

Pour Frédéric Boily, c’est une question de rigueur, car les Canadiens pourront à ce moment savoir si le gouvernement perd le contrôle des finances publiques avec ses nombreuses annonces, sans pour autant prendre de décisions importantes, ou s’il est en mesure de contrôler son budget.

Avec toutes ces dépenses annoncées, il va également falloir surveiller les taxes, soutient Geneviève Tellier.

«Par le passé, ce gouvernement-là n’a pas montré qu’il était vraiment enclin à augmenter les impôts, explique-t-elle. Oui, il y a eu des taxes de luxe, mais ce n’est pas [avec] ça qu’ils vont [..] ramener le déficit à la baisse.»

La professeure ajoute que plusieurs indices laissent croire que ce dernier pourrait augmenter. Le 7 mars, le Bureau du directeur parlementaire du budget prévoyait un déficit de plus de 46 milliards de dollars. «On peut facilement envisager un déficit au-dessus de 50 milliards avec les nouvelles annonces qui ont été faites.»

Pour les gens d’affaires ou de la classe moyenne, il sera surtout question de productivité, observe Frédéric Boily.

Plusieurs études montrent que la productivité au Canada aurait diminué, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les finances publiques, mais aussi sur l’ensemble des Canadiens. «Il faudrait qu’il y ait des mesures pour stimuler cette productivité.»

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