Le 11 mars 2015
Carlo Lavoie s’intéresse aux mots et aime poser des questions. Il affectionne particulièrement les questions auxquelles il n’a pas trouvé de réponses. Celle de l’identité «acadienne et francophone» en vigueur dans nos organismes le préoccupe de façon plus urgente.
«Ma crainte, dans le contexte actuel du développement de la communauté “acadienne et francophone”, c’est que notre façon de décrire la communauté finisse par exclure plus de gens qu’elle n’en inclut, surtout si on tient compte de l’arrivée de nouveaux arrivants francophones, qu’ils soient du Canada ou de partout au monde. Comment pouvons-nous les convaincre de s’inclure et de s’intégrer à notre communauté alors qu’ils ne sont pas des Acadiens? Comment les aider à se sentir les bienvenus et surtout, à se sentir chez eux?»
Être Acadien, dit Carlo Lavoie, c’est avoir une identité ethnique et historique. Ce n’est pas une identité linguistique. «Je devrais dire que ça ne l’est plus. Il y a une époque où le fait de se dire Acadien voulait aussi dire qu’on parlait français, et qu’on était catholique. Mais ce n’est plus le cas. Les organismes de la communauté travaillent d’arrache-pied pour refranciser des Acadiens qui ont perdu le français à cause de raisons historiques».
En général, être Canadien signifie qu’on vit au Canada, être Québécois signifie qu’on vit au Québec. Il devrait en être de même pour la dénomination «Acadien». L’ennui c’est que l’Acadie n’a pas de frontière ni de territoire reconnu.
Être Acadien, c’est aussi avoir une identité culturelle. Or, tous nos organismes communautaires, nos écoles de langue française, la Société Saint-Thomas-d’Aquin, la Fédération culturelle de l’Î.-P.-É., tous ces organismes existent pour la survie du français, pas seulement pour la survie de la culture acadienne ni pour assurer la mémoire de la Déportation.
«Moi, je viens du Madawaska, de la frontière entre le Nouveau-Brunswick, le Québec et le Maine. Mes ancêtres sont des héritiers de la défaite des Plaines d’Abraham et non de la Déportation. Ma famille est au N.-B. depuis cinq générations, et moi, je vis ici depuis plus de 10 ans. Je ne suis pas né ici, mais mes enfants sont nés ici. Qui sont-ils? Quelle est leur identité? Ils ne sont pas Acadiens au sens historique, mais ils sont francophones. Ma femme est Roumaine. Elle n’est pas Acadienne, ni même francophone au sens de la définition du terme, mais elle parle français. Elle serait francophile? Pourtant, elle vit et elle travaille en français. Ce que nous avons en commun avec les autres francophones, c’est la langue bien sûr et c’est aussi notre attachement à l’Île-du-Prince-Édouard».
Carlo Lavoie trouve aussi qu’on a tendance à trouver des identités marketing qui finissent par être réductives. «Nous venons de vivre le Congrès mondial acadien dans l’Acadie des terres et des forêts. Qu’est-ce que c’est que ça? C’est l’Acadie, mais pas tout à fait. Un Acadien ne peut pas être bûcheron? À force de vouloir être précis dans nos dénominations, nous morcelons notre identité, et nous excluons plus que nous incluons. Je n’ai pas la solution, mais je pense qu’on doit poser la question», dit Carlo Lavoie.
Il mentionne qu’une identité civile, liée au territoire de la francophonie de l’Île, pourrait devenir une porte de sortie. Au Canada, nous connaissons des termes comme Ontariens, Fransaskois… Mais nous habitons sur une île. «Insulaires» est un terme qui est très peu distinctif, étant donné qu’il désigne tous les Insulaires du monde. «Prince-Édouardien ne me plait pas tellement. C’est trop lié à la monarchie, et puis c’est très long… J’aime bien Ipéens, pour ÎPÉ. Ce qui compte, c’est de nous définir de façon inclusive, pour nous-mêmes et pour les gens avec qui nous interagissons, incluant les nouveaux arrivants», dit Carlo Lavoie qui sera, ce jeudi 12 mars, l’animateur de la seconde table ronde sur l’immigration francophone de la Coopérative d’intégration francophone.
- Par Jacinthe Laforest